Nous savons combien certaines destinées sont injustes au point que des œuvres de qualité demeurent dans les cryptes insondables de notre musique préférée ad vitam aeternam. À cet égard l’allemand Stefan Hertrich est un personnage tout à fait prolifique et impliqué, qui s’il a aujourd’hui disparu de la scène Metal, fut pendant une quinzaine d’années le concepteur de plusieurs vaisseaux méconnus. En l’occurrence, DARKSEED et son Metal gothique inégal qui durant sept albums passa du médiocre au plus satisfaisant, SCULPTURE projet anecdotique avec un ex-CREMATORY, BETRAY MY SECRETS gorgé de chants ethniques éveillant l’intérêt, suivi de l’éphémère SPIRITUAL qui en est l’aboutissement. Enfin citons la World Music tribale de SHIVA IN EXILE dont les travaux vont prendre une dimension importante puisqu’ils vont initier la création de l’ouvrage qui nous intéresse aujourd’hui.

Parlons tout d’abord des chants féminins ici présents, outre la collaboration de la soprano Gaby Goss (HAGGARD, CORONATUS), la véritable surprise se nomme Yana Veva, chanteuse des Russes THEODOR BASTARD qui évoluent dans la World Music / Neo Folk depuis 1996. Sa contribution se révèle tout simplement incontournable pour qui est sensible à ce chant aux sonorités hindouistes d’une justesse rare. Ce timbre envoûtant fait basculer l’auditeur dans un monde mystique et contemplatif au pouvoir immersif de tout premier ordre. Les mots ne sont pas trop forts pour décrire le voyage astral qui nous attend dans ces titres aux évolutions déconcertantes de fluidité et emplis d’une magie chamanique palpable. Toutes ses propositions sont d’une inspiration exemplaire, leur enchaînement devenant si hypnotique que l’embarquement est absolument immédiat et l’évasion totale.

Si la base stylistique doit autant au PARADISE LOST de "Draconian Times", au DARK TRANQUILLITY de "Projector" ainsi qu’au "Mabool" d'ORPHANED LAND, la vision du sieur Hertrich avec SPIRITUAL reste personnelle et rarement ont aura entendu de tels hymnes exotiques fusionnant à ce point d’excellence avec des guitares acérées. De surcroît notre ami utilise également de nombreux samples de chants féminins issus de natifs américains ou indiens qu’il distille avec soin sur l’ensemble des compositions et qui font véritablement corps avec elles. Cela sans compter l’apport de plusieurs autres artistes invités dont les guitaristes de MEGAHERZ et d’EQUILIBRIUM.

L’énergisant "The Battle Is Yours" ouvre la marche avec ses rythmiques charnues et saccadées, son chant vindicatif à la Kobi Fahri / Mikael Stanne, ses chœurs ensorcelants sur les refrains et son solo lumineux. Ce titre apparaît sur l’album "Ethnic" (2003) de SHIVA IN EXILE dans une version World très réussie. Le massif "Symphony Of Life" sera quasiment du même tonneau fameux, avec en plus le chant clair de Stefan puis d’autres chants indiens aux méandres mélodiques phénoménaux. "Nahash" débute son cheminement en espalier par une quiétude toute méditative jusqu’à son explosion finale et les interventions de l’enchanteresse Yana Veva. "Pulse" alterne des couplets saisissants et des plages plus sereines accompagnés par le chant fabuleux et méconnaissable de Gaby Goss, ici transfigurée.

La montée en puissance impressionnante de "Khundas" n’aura d’égale que son lyrisme à couper le souffle, Yana est encore une fois cette prêtresse-magicienne intercédant entre les hommes et les entités forestières du monde invisible. Notons qu’il s’agit d’un morceau qui se retrouvera sur le second SHIVA IN EXILE "Nour" en 2008.
L’atmosphérique "You Believe" verra s’installer un dialogue entre Stefan et d’anciennes psalmodies, tandis que les guitares cinglantes lézardent l’espace, puis l’ambivalent "Save And Heal" fera se succéder des couplets plombés et des refrains entraînants au possible. Le périple se conclut par un "Nowhereness" énigmatique conduit uniquement par Yana et dont le refrain nous emmène sur le toit du monde connu, derrière les nuées de la création, devant le séjour des dieux ancestraux.

Nous sommes logiquement en présence du plus bel effort de notre compositeur. Que cet opus soit perdu dans les limbes reste un mystère impénétrable, cependant cela semble rendre sa découverte pour le profane encore plus exaltante. En vérité, une émeraude d’une parfaite évidence jalousement cachée dans les arcanes métalliques.