La peur de la nuit est sûrement ce qui nous a poussé à être sans cesse à la recherche de lumière. Tels des insectes, nous ne sommes pas capables de résister à son appel. Disons même que résister à la promesse de chaleur et de réconfort que la vision d’un globe doré dans l’obscurité peut nous apporter est carrément contre-nature. Nous sommes tellement obnubilés par la tranche visible de l’énergie qui se dissipe dans le cosmos que nous en avons fait l’incarnation même du bien. En effet, nous laissons traditionnellement le monde de la nuit aux truands, aux voleurs, aux assassins, à ceux et celles qui vendent leurs corps et leurs âmes ou à ceux et celles qui vendent ce qui pourrit corps et âme. La nuit est au mal, à la petitesse, à la mesquinerie, ou au mystère ce que le jour est à la bonté, à la grandeur, à la largesse, ou à la vérité.

WITCHHELM se complaît dans l’obscurité. Au lieu de parler d’occultisme, de sorcières, de démons et d’autres créatures infâmes des ténèbres, ce quartette tout droit venu des plaines dorées d’Ohio, nous fait vivre la peur de l’inconnu, et ce depuis leur première sortie, "Conjuring", il y a de cela trois ans maintenant.
Leur style bien particulier m’a de suite obsédé. Ces musiciens désabusés nous emmènent dans les tréfonds obscurs du crépuscule, nous parlent de sorcières et de fantômes. Bref, c’est la bande-son parfaite pour une nuit de terreur. De plus, l’alternance entre un chant clair et un chant grogné rajoute de la puissance au concept. Je ne sais aucunement comment le groupe arrive à donner un effet surnaturel à la voix de Sean Deth, mais les paroles de ce dernier semblent nous parvenir depuis l’autre côté du Voile, leur conférant une qualité magique et inquiétante. Tantôt impuissant et désespéré, tantôt dégageant une rage froide et titanesque, digne d’un prince des enfers dérangé pendant sa séance de torture avec de pauvres âmes piégées dans son domaine, la voix de Deth ne sert pas uniquement de chant. Elle rajoute avec brio une dimension texturale essentielle à l’ambiance que le groupe souhaite véhiculer.

"Dead Nights Of The Moon Fear" est l’album qui affirme la maturité du groupe. Ils ont en effet toujours pris soin de nous placer dans des marais sirupeux et fangeux puant la beuh et le moonshine à coups de riffs bluesy rappelant tantôt le Blues du Delta joué par Muddy WATERS ou BLIND WILLIE McTELL, tantôt le Blues Texan à la LIGHTNIN’ HOPKINS. Cette fois-ci, ils rajoutent une touche qui leur est proprement personnelle. Nous passons d’une ambiance électrique et débordante d’énergie dans le morceau "Skrœling" à une atmosphère lourde et aussi massive qu’un esprit pestilentiel tout droit sorti des marais dégoûtants de la plaine du Mississippi dans "Halvmåne". Toute cette progression fait partie des tropes classiques que nous pouvons entendre dans un LP de Doom. Cependant, nous devrions également mentionner que les morceaux les plus doomeux, les plus inquiétants, les plus viscéraux de l’album sont "Grave Sage", servant d’interlude, entièrement joué en acoustique, et "They Who Were Our Bane", le morceau final de l’album, une outro joué au clavier, dégageant une atmosphère mystérieuse, nous sortant de l’enfer fangeux dans lequel nous venons de passer trois très bons quarts d’heure mais promettant une suite qui, je l’espère, testera les limites de notre santé mentale.

Le groupe nous emmène dans un sabbat démoniaque aux frontières du réel pour nous assommer d’infrabasses, de riffs aussi calmes et massifs qu’une créature ne doutant aucunement de sa puissance, de passages sinistres rappelant une forêt hantée par les démons qui terrifiaient autrefois nos ancêtres.

WITCHHELM se situe musicalement à la fois fermement dans le Doom Metal glorieux de par sa force pachydermique et son utilisation d’effets psychédéliques, dans le Blues Sudiste et dans le Bluegrass moderne ou la Country Gothique faisant fureur parmi les quelques athées perdus dans la Bible Belt. L’Amérique profonde et ses peurs injustifiées constituent un terreau fertile pour les artistes souhaitant exploiter la noirceur du folklore local. WITCHHELM y arrive sans aucun souci, revisitant l’esthétique inquiétante des villes perdues d’une Amérique autrefois prospère, croulant désormais sous le poids de l’exploitation par des institutions financières à l’éthique discutable ou subissant les ravages de l’industrie. L’idéologie de ses dirigeants est passéiste. Ces derniers refusent la perte de prestige inévitable qui suivra lorsque qu’ils se rendront enfin compte que la terre qu’ils souhaitent défendre meurt lentement et que les valeurs dont ils se font les parangons sont obsolètes et sans conséquence. Le rêve américain deviendra petit à petit comme le mythe romain et s’éteindra comme une chandelle de suif arrivée sur sa fin, sans explosion, sans fracas, ne laissant derrière lui qu’une fumée âcre et des histoires à glacer le sang… Ce qu’il nous reste à faire maintenant, c’est de se foutre tous à poil, allumer des bougies, des pétards et de l’encens puis dessiner un pentagramme et danser pour invoquer le Diable avec "Dead Nights Of The Moon Fear" pour bande son. Qui sait, peut-être cette offrande pourra-t-elle sortir le monde de sa misère ?