Alain a dit de la méchanceté qu'elle n'était pas invincible chez l'Homme, ni immédiate, et qu'il suffisait de trouver "l'épingle". Davantage psychologue que philosophe dans ce propos, il veut dire par là que nous ne naissons pas méchants mais devenons méchants, par de multiples possibilités dont le rejet des autres, l'enfermement dans sa démence ou la paranoïa. Aussi en écoutant CALVAIIRE je me demande où est l'épingle dans le corps suintant de ce groupe, avant de me dire que la question principale serait plutôt de se demander s'il n'y en a pas plusieurs.

A l'instar d'un aurochs hérissé de lances dans l'arène, CALVAIIRE est furieux et enragé, et sa musique donne davantage l'impression d'être improvisée que calculée. On accroche d'emblée à cette violence maladive, qui a l'avantage de ne pas verser dans le mal-être surjoué d'autres formations de la scène, et de se concentrer davantage sur la charge auditive. Et pour cela, CALVAIIRE n'hésite pas, lui, à revenir au riff, oublié de plus en plus chez les récents THE RODEO IDIOT ENGINE malheureusement, et que l'on retrouve encore dans COWARDS. Un art du riff que le groupe maîtrise à la perfection, assénant coups sur coups des monstres de puissance tout en n'oubliant pas que le groove est l'apanage du Démon (infernale "Simulacre" et son riff en forme de danse désarticulée). Du groove tordu donc, et une logique plus traditionnelle pour ce qui est de paraître authentique, comme le montre cette propension à faire ressortir les larsens.

"Rigorisme" prouvait déjà que CALVAIIRE assurait question musique et il faut saluer la capacité de Quentin à composer des obus artisanaux. Le rythme ne faiblit jamais, la structure est un piège constant et les multiples attentes de l'auditeur sont bien souvent déjouées, comme sur "Via Dolorosa", dont la première moitié efficace précède un passage plus mid-tempo, lui-même introduit par une partie batterie/chant plutôt moyenne et qui reste à l'état de tentative. En parlant de tentative, on ne peut cependant pas dire que CALVAIIRE met le tapis. Son Hardcore chaotique reste classique et emprunte à divers groupes, avec en tête CONVERGE, dont il partage l'amour du riff tout d'abord mais aussi, concernant le chanteur, l'amour de Jacob Bannon, et c'est là une chose qui peut poser problème.

Car si CALVAIIRE se démarque de ses modèles musicalement, en développant une approche personnelle de la violence, certes CONVERGEienne ou THE CHARIOTienne à la base, mais se tournant également vers les recoins Post-Hardcore que l'on retrouve chez un AS WE DRAW (la fin de "Curatelle", épique), il ne le fait pas au niveau du chant. Matthias s'inspire de Bannon, et a du mal à se démarquer de son illustre modèle. Le chant est criard, il donne l'impression d'être à la limite de la rupture, et ressemble véritablement, à s'y méprendre parfois, à celui du leader de CONVERGE. Une comparaison qui pourrait être flatteuse si Bannon était un bon chanteur, ce qui n'est pas le cas. On pourra noter que Matthias verse davantage dans le penchant malsain du chant Hardcore, empruntant là des atouts chers au Black Metal de PESTE NOIRE ou aux inclassables COMITY, dans cette façon de cracher sa haine, et chanter sans grande technique, mais avec les tripes. On adhère ou pas, mais couplé aux textes français, le chant s'avère efficace la plupart du temps, du moins quand il est noyé dans le mix. Le cas échéant, Matthias montre ses limites, par exemple sur la fin d' "Aux Porcs", où sa voix semble lâcher.

Points importants de "Forceps" et de CALVAIIRE en général : l'univers. Impossible de passer à côté des textes, écrits en français, et qui ont le mérite d'être bien plus recherchés que ce que l'on trouve habituellement. Totalement dévoué au culte de la métaphore et au blâme, Matthias développe son propos avec une qualité à souligner, et certaines phrases sont à la limite de la punchline, tant elles ont une puissance évocatrice. Incroyablement vindicative, à la limite de la misanthropie et dévoilant un esprit réactionnaire, elles font réfléchir et leur langage est on ne peut plus éclaté, rappelant la poésie fragmentée d'un René Char ou d'un Césaire, volontairement basée sur l'aphorisme ou la formule courte mais rédigée avec talent : "A quoi bon vouloir parapher une Histoire aux pages vides, lorsqu'il n'y aura à retenir que les piétinements d'une génération d'analphabètes". Réactionnaires donc et plus accusateurs que personnels, les textes de CALVAIIRE montrent un groupe qui n'a pas que la musique en ligne de mire, mais qui a aussi un propos à faire passer : "Rien de plus aisé que de s'auto-proclamer martyr sans avoir eu le palais éduqué au goût du sang versé en vain".

"Forceps" est en définitive un très bon album, qui prouve que CALVAIIRE, même s'il reste dans cette logique de l'ultra-violence - qui est celle du roster de Throatruiner - se démarque, à la fois dans ce qu'il dit et dans son parti pris pour le riff, souvent excellent. Le chant pourra diviser, car il est faible, et certaines parties s'étendent pour ne rien laisser d'autres que de la poussière. On retiendra surtout que le pari du long format, qui pouvait inquiéter étant donné l'hermétisme de "Rigorisme", est gagné, et que les balbutiements d'ambiances développées sur "Forceps" n'ont plus qu'à atteindre le niveau du riffing sauvage pour qu'on tienne un possible grand album à l'avenir. Du coup, oubliez Alain, et laissez les épingles en place je vous prie. La bête n'en sera que plus revancharde.