Avec le recul, parler de NIRVANA semble facile. Pourtant cela ne l’est pas et cela tient beaucoup à la personnalité trouble de son géniteur, Kurt Cobain, clodo sans talent pour les uns, poète maudit pour les autres. "Nevermind" cristallise l’image du groupe et par un jeu d’extensions pour le moins crispants (pêle-mêle, une pochette culte, une plus grande accessibilité, des chansons devenues des références d’une génération perdue), l’idée que l’on se fait du son du groupe, lisse, agressif juste ce qu’il faut, la nuque finalement bien dégagée. Pour ma part, même si "Nevermind" n’est pas à ignorer, l’essence même de la formation la plus connue de Seattle se situerait en réalité dans les deux albums qui l’entourent.

"Bleach" par exemple, pue l’amateurisme et les musiciens fauchés. Des jeunes qui ne jouent pas comme ils devraient jouer à cette époque, à proposer des chansons mignonettes destinées à cartonner avec des clips qui passeraient en heavy rotation sur MTV. C’est plutôt même le contraire. Cobain ne dira jamais que POISON fut une de ses influences, mais il pouvait citer les MELVINS ou encore LED ZEPPELIN. Si pour le second cela paraît bien confus, le premier coule de source, comme une évidence, même si NIRVANA sonne définitivement plus Punk que Sludge. "Bleach", c’est un bordel sonore et c’est ça qui fait tout le sel de ce disque.

Bien sûr, "About A Girl" se fera un nom, sublimé quelques années plus tard sur le "MTV Unplugged". Ce morceau préfigure déjà ce que sera "Nevermind" avec son aspect faussement nonchalant. Il y a de la naïveté derrière ce titre, ce qui le rend irrémédiablement attachant. Autour, c’est un déluge de riffs parfois indéfinissables, ponctués par les cris d’un Cobain qui éructe sa rage et son mal-être sans prendre le temps de se poser et de construire un peu plus. C’est complètement anarchique, tout en restant très homogène dans l’approche, ce qui rend l’ensemble d’autant plus troublant. "Blew" se retient bien parce que c’est l’opener, le reste ce sont les écoutes répétées qui les dessinent le mieux et permettent de les apprécier.

Et là, mine de rien, il y a quelques pépites insoupçonnées, à commencer par "Floyd The Barber" dont les paroles font froid dans le dos, "School", "Paper Cuts", "Negative Creep" ou encore "Mr Moustache". Des titres pouvant être tour à tour entraînants, malsains, voire salement dérangeants, qui définissent ce qu’était alors ce NIRVANA juvénile, plus roots et sincère que jamais. Et cette saleté, on la retrouvera principalement sur "In Utero", cette saleté qui semblait alors être le fondement de NIRVANA. Quand le groupe se méritait en quelque sorte.

"Bleach" est un disque un peu mal aimé, qui ne plaira pas à tout le monde et dont ce n’est pas le but. C’est un instantané d’une époque en pleine mutation et qui allait s’effondrer avec le Mur de Berlin plus tard dans l’année, un des évènements qui allait définir de nombreux changements d’importance. "Bleach", c’est un cri de colère contre la suffisance et l’ignorance qui entouraient Cobain quand "Nervermind" sera plus la vision d’une jeunesse peu épanouie sur un monde qui part en couilles.