Les Américains sont difficilement crédibles lorsqu’ils prétendent jouer du Black Metal. Cette musique, qui tire ses racines dans une Europe fantasmant son propre Moyen-Âge et ses parts d’ombre, est généralement reçue avec suspicion lorsqu’elle est pratiquée par des musiciens ayant le malheur de vivre outre-Atlantique. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien, je m’apprête simplement à défendre un disque américain qui m’a rappelé cet état de fait, sans doute injuste, car cet album est bon, mais peut-être pas sans fondement : on a déjà entendu musique plus profonde.

Certes, la Floride natale de l’interprète a beaucoup à envier à la Norvège en ce qui concerne les paysages hivernaux. Qu’à cela ne tienne, Matron Thorn, seul maître à bord, a réussi à recréer l’atmosphère propre au genre. Evidemment, les paroles à base d’anges, d’arsenic et de poignets entaillés ne sont pas de la plus grande subtilité, et la musique jouée ici ne s’écarte pas une seconde des sentiers cent fois battus par les ténors du genre.
La copie suit à la lettre des formules éprouvées, comme issue d’un savant bachotage, mais force est de constater que tous les éléments vus en cours sont présents et plutôt bien assimilés : cela, on peut difficilement le sanctionner.

Matron Thorn, déjà fort d’une expérience de cinq albums, sait prendre son temps, et distille une musique lente, vaporeuse et mélancolique, ponctuée de quelques rares éclats de rage. La longueur des morceaux est à l’avenant : outre l’interlude "Dreamscape Overdose", en seconde piste, tous dépassent les sept minutes.
L’œuvre du musicien solitaire bénéfice d’une grande maîtrise : le canevas n’est jamais surprenant, mais il est techniquement sans accroc. Le son n’est pas parfait, on relèvera principalement quelques parties de batterie affreusement sous-mixées, mais les guitares sonnent toujours justes, une bonne chose étant donnée leur importance. Matron Thorn réussit donc à créer une base assez solide pour y faire reposer son univers et ses ambitions créatrices. Ainsi, le disque parvient sans mal à happer l’auditeur dans ce monde et à lui faire oublier un temps le goût de déjà-vu qu’il ressentira inévitablement.

Je tiens tout spécialement à mettre en avant la quatrième piste, "Nightshade & Arsenic", longue rêverie instrumentale de sept minutes, faite de nappes éthérées et d’accords de guitare. Ce morceau magistral n’est jamais loin des moments les plus oniriques d’OPETH.

Il est en tout cas dommage que le musicien se sente obligé de ressasser les pires clichés du genre, du nom de l’album à coucher dehors aux petites lames de rasoir représentées dans le livret. Avec de tels atouts en main, il y avait matière à aller plus loin, par exemple en approfondissant la composante Dark Wave de cette musique (Matron Thorn dit dans une interview avoir connu et apprécié ce genre avant de découvrir le Black Metal).
"Hybride Parasite Evangelistica" est donc un album de qualité, qui prouve une fois de plus que les Etats-Unis sont capables de produire du bon Black Metal, mais qui ne va pas au bout de ses (très bonnes) idées.