Fans de DARKSPACE, sortez de votre trou interstellaire, BORGNE vous attend dans sa forêt, hache au poing, pour une promenade sinistrement agréable dont votre mémoire se souviendra longtemps.

« Musique suffocante »

La boîte montréalaise Sepulchral Productions, spécialisée en Black, résume ainsi le troisième album en trois ans du Suisse Bornyhake, seul artiste hors Québec qu’il a sous son aile. « Musique suffocante » ou autre symphonie du mal-être, de la haine de l’homme traduite par un Black Indus inspiré, hypnotisant, riche. Oui, vous reconnaîtrez les maîtres du genre, ceux qui prient Satan sous une lune funéraire, mais cette galette est plus atmosphérique et engraissée aux claviers grandiloquents que les offrandes crades qui ont tourné sur votre platine.

BORGNE fait ainsi honneur à la confrérie d’où il provient, la très respectée maison suissesse du Black Atmo, dont DARKSPACE possède la plus grande chambre. Confrérie de la gratte rapide mélodique, des effets psychotropes et des redondances positives, du climat aérien pestilentiel. Si DARKSPACE officie clairement dans un registre plus « spatial », BORGNE s’en éloigne heureusement pour lorgner du côté de la jungle boréale, trônant sous une cloche d’air pur et de peur intrinsèque. La forêt immobile et dérangeante pour le drogué urbain par son calme et le mystère qui étend son lit de mousse et son manteau de brouillard entre les troncs. Cette futaie détentrice des origines de toute vie, du trousseau des clés temporelles.

Bornyhake jongle habituellement avec un(e) ou deux riff(s)/mélodies(s) par titre, s’y colle et en extrait le maximum à l’aide de nombreuses répétitions jamais suantes. Le musicien des bois sombres entame son déambulage avec grand talent sur "Sedna", titre lourd et bastonné déjà classique dans son genre. Il marque ensuite les tympans à l’aide de deux patterns bien distincts sur "Orcus", avec sa pédale tranchante et "Eris", au riff bien découpé à travers une complainte guitaristique solennelle. Quant à "Haumea", la cerise foncée sur ce délicieux gâteau, elle dessine un tableau plus énigmatique, mystique, grâce à une simple ligne de clavier. Probablement le morceau le plus représentatif de l’immensité isolée photographiée sur la pochette.

Ce quatuor traversé, ne cherchez pas la suite du sentier, il s’arrête là, devant un précipice déceptif. Ce n’est pas le duo d’instrumentales aux extrémités de ce trop court alignement qui contentera les assoiffés que nous sommes. Oh que non, au contraire, elles décupleront la rage adroitement installée partout sur l’album durant trente minutes. BORGNE "IV" est constitué de quatre excellents morceaux piqués d’une virtuosité certaine et aurait pu prétendre aux grands honneurs de sa confrérie s’il avait été plus long à l’instar des opus précédents. Il aurait même creusé sa tombe près de celle de DARSPACE, dont il imitait les sempiternelles ritournelles sur "III" il y a deux ans. (Au fait, vous remarquerez que les titres des albums des deux formations se ressemblent étrangement en versant dans la numérosité… ) Pour le moment, BORGNE perd la majorité de ses points en accouchant d’un Damien prématuré, pas surdoué. Dommage.

Bon, ce "IV" est peut-être moins exhaustif que les efforts passés de Bornyhake, mais il est le plus achevé. On pourra se plaindre de rester sur notre faim, mais pas de tenir une galette dont le son est fuzzé comme sur "II" et "III". Ici, la production est plus léchée et ne dénature pas le visage du Blackeux à la voix sardonique, elle l’embellit.

BORGNE est sorti de ses guêtres et s’est adjoint les services de visionnaires qui lui ont permis de clarifier et de bonifier une démarche aux capacités infinies. "IV" est un second souffle pour ce one-man band et, espérons-le, celui qui lui redonnera son deuxième œil sur le futur "V" ?

3,5/5.