Trois СВАРГА, un ukrainien, deux russes. Une infinité de groupes issus de l'Union Soviétique slave (Russie, Belarus et Ukraine). Et à vrai dire, on commence à s'y perdre. Deux tendances assez claires s'affirment pourtant avec vigueur. D'un côté, bombers noirs, paras ferrées, les crânes souvent rasés de ceux qui, par désastre historique, sont tombés dans la nationalisme dur. De l'autre, les cheveux longs des partisans d'un retour à la ruralité et aux traditions anciennes. Ceux-là ont grandement participé à l'éviction du terme viking metal pour celui nettement moins réducteur de folk metal. Entre les deux, d'énormes passerelles comme en atteste le parcours discographique des deux géants nationaux, le russe ТЕМНОЗОРЬ et l'ukrainien NOKTURNAL MORTUM.
Le СВАРГА qui nous intéresse aujourd'hui ne flirte pas avec les idées brunes, le СВАРГА qui nous intéresse ici est gentil, très gentil. Gentil mais pas totalement innocent, le СВАРГА qui nous intéresse ici utilise tout de même deux grosses caisses, son chanteur accepte aussi les sons gutturaux. Mais ce n'est là que simple constatation sans grand intérêt sur le plan des atmosphères. Car le СВАРГА qui nous intéresse ici ne puise pas son inspiration dans le sombre, la haine lui semble parfaitement inconnue, il reste équilibré sur le plan hormonal. Le СВАРГА qui nous intéresse ici est un véritable petit orchestre de fête folklorique. Un orchestre qui nous transporte avec plaisir dans la Russie profonde.

Avec plaisir car ce СВАРГА là ne développe pas un affect noir. Et si l'âme russe est imprégnée, que dis-je, imbibée d'une mélancolie anesthésiante qui prend sa source dans les grands espaces et les grands climats, dans ces forêts de bouleaux à la dimension surhumaine, dans ces extrêmes de températures, et qui pèsent sur l'énergie d'un peuple qui se sait si petit face à Dame Nature, la troupe de Joukovski résiste et laisse parler ses humeurs joyeuses tout aussi caractéristiques d'une nation adepte de la démesure tous azimuts.

Pourtant, si j'évoque des humeurs joyeuses, elles respectent un contexte psychologique lourd. СВАРГА est russe, très russe. Et quand on a compris que le comportement moyen d'un fils d'Ivan le Terrible et de Lénine (ce dernier n'étant certes pas russe d'origine) saurait être assimilé dans nos contrées si tempérées à la pire cyclothymie, on a aussi compris que les plus grandes démonstrations d'allégresse laissent toujours planer sur elles cette chape de désespoir prompt à envahir l'assistance au moindre coup de vent. Démonstration de cet équilibre délicat, le joli " Поднебесные", qui débute sur un accordéon traditionnel (un bayan pour montrer une totale précision) et qui tisse une toile finalement empreinte d'une immense nostalgie naturaliste. Un accordéon qui n'est pas là qu'en guest star et premier responsable, avec une flûte guillerette, de cette atmosphère de fête. Ce n'est pas pour rien que le morceau qui clôture cette invite au plus authentique voyage demeure une chanson à l'âme rembrunie, magnifique conclusion d'un album au tempérament bien plus fort et profond qu'il n'y paraît de prime écoute. Un album à la croisée des chemins, celui de la tradition qui festoie, celui de l'épaisseur des sentiments, celui du metal.