Je suis sensible tout comme vous à l’esthétique et d’ailleurs notre œil est aussi ce premier rempart qui nous permet de jauger quelle situation se présente à nous. L’art le sait bien et si l’on revient à ce qui nous préoccupe aujourd’hui pour cette chronique c’est aussi à votre œil que je m’adresse. La doucereuse couleur veloutée de cette pochette du second album de PACTO aimante un peu notre regard à apprécier confortablement davantage de détails. Reprenant quelques références et canons probables du genre, votre pupille avertie a exclu derechef PACTO comme un groupe de Grindcore ou de Power Metal n’est-ce pas ? Et bien vous avez entièrement raison. Ce paysage - peut-être l’auriez-vous deviné - ne provient pas d’obscures latitudes nordiques mais de Colombie. Le paysage est situé dans un endroit appelé "El Páramo De Chingaza" situé à Guasca, une ville située à l'extérieur de Bogotá. Un "Páramo" est un endroit situé haut dans les montagnes des Andes, qui marque la fin de la végétation au profit des neiges éternelles. Hostile, balayé par les vents et le froid, ce lac est l’endroit où l’on aurait peu de peine à imaginer les complaintes de Gaïa.

"Lamento De Gaia" est le troisième album d’une formation animée par deux frères jumeaux et dont le voyage musical a démarré en 2007. Scandé en espagnol, l’album débute sur les chapeaux de roue passée l’introduction. Épique et atmosphérique, PACTO entame de facto les hostilités par un Black Metal assez atypique. Les claviers ont une place prépondérante et paraissent avoir un rôle de conteur et de diffuseur d’ambiances. Cette ritournelle d’ambiances et les sonorités des claviers me rappellent le majestueux premier album d'ARATHORN : "Niemals Kroenender Als Was Einst War", où le sentiment païen y transpire avec insistance. Autoproduit "Lamento De Gaia" ne souffre d’aucune légèreté et sa production est puissante et claire. Ce qui fait avant tout l’originalité de nos chers Colombiens, c’est cette harmonie entre mélodies racées, éthérées, et atmosphères épiques tout à la fois infiniment tristes et combattives.

Même si l’album est court, l’ensemble des titres force le respect tant ils sont brillamment inspirés et composés. Leur aspect entêtant s’apprécie, et les leads lumineux et sanglotants produisent cette magie qui enivre le cerveau en le baignant d’émotions intimes. Écoutons ensemble par exemple la magnifique ballade sonore qu’est "Voces Que Resisten" et la délicatesse atmosphérique qui l’enrobe constamment. Le mid-tempo fait des ravages dans notre pensée et le chant mi-growlé mi-screamé de Giovani Cantor nous accompagne pas à pas à rester en équilibre sur ce fil de vie. Parlons aussi du voyage hors des sentiers humains que le titre éponyme nous conduit à arpenter. L’appui céleste de la voix de Roxana Restrepo (KRAKEN) nous emporte et nous laisse embarquer à flots perdus vers notre propre rêverie. "Sentenciando Tu Elección" mais aussi le titre instrumental "Semita Ad Novam Aetatem" (= le chemin vers une nouvelle ère) ne sont pas en reste et, à l’instar des autres titres, produisent leur lot d’ambiances marquées et toujours empreintes d’une mélancolie tenace.

Quelque chose de WINDIR s’échappe de ce "Lamento De Gaia" tant dans son aspect symphonique que son exaltation, mais aussi dans cette quête mélodique à conter au travers de riffs simples mais impactants. PACTO a créé son univers, il n’est ni un ersatz ni une copie informe. Le travail de ce groupe est à noter d’autant plus qu’il n’est pas aisé de diffuser de la musique diabolique en Colombie. Le groupe affiche une belle technicité et la somme d’influences que chacun compose produit cet excellent résultat. Possesseur de sa propre aura, l’entité PACTO a toutes les cartes en main pour briller au-delà de ces "Páramos". Force à elle et à ses capacités créatrices !