Les fantasmes de décapitation font partie des pulsions innommables qui attirent le voyeurisme et alimentent la boîte à fantasmes des gens. Couper la tête, en détacher l’esprit, rendre le corps à lui-même et à son impersonnalité reste un des gestes les plus inhumains qu’il soit. Si je vous fais cette introduction un peu rebutante c’est aussi pour présenter le visuel du second album de BEENKERVER, one-man-band hollandais qui nous délecte d’un second album gracile et savamment composé. Passez les visions outrancières ou les fantasmes d’horreur, Niels Riethorst nous emmène davantage avec "De Rode Weduwe" - sous un ciel de traîne ou à la lueur d’une lune gibbeuse - à écouter avec une certaine religiosité son Black Metal Atmosphérique grandement inspiré et passionnant.

Riche et délicat, BEENKERVER demande - à l’instar de ce chat sur cette pochette qui nous observe sciemment – un certain apprivoisement. La grande puissance des ambiances détectées sur cet album est saisissante. Volontiers mélancolique, chaque titre nous conte l’histoire tragique de Sophia, la veuve rouge, piégée par son mari maléfique, agressée puis répudiée et condamnée à mort par la justice d’hommes avides de garder le contrôle et le pouvoir. BEENKERVER nous raconte l’injustice forte et folle, les atrocités, le silence forcé, le statut obligé de victimes et la souffrance des femmes de ce monde. Sophia est cette femme qui reprend le pouvoir en se vengeant de son sort et en bravant les interdits pour se départir de sa condition et tuer le suprême ennemi qui l’annihile. Condamnée à mort et déclarée sorcière, sa tête est demandée pour réparer le meurtre du mari violeur et pervers… Vous comprenez mieux alors cette pochette de l’artiste Bram Bruyneel.

Et pour en revenir à ce qui vous intéresse le plus : la musique, je vous invite dès à présent à plonger notamment dans les leads magnifiques de "Vergane Roze", ce titre est à mes yeux le plus beau de cet album. Son mid-tempo ravageur et hypnotique, ses mélodies dentelées qu’accompagnent les vocaux inspirés de Niels Riethorst font leur petit effet. Et ces belles émotions sont potentialisées par la présence du chant délicat de Floor Vandenbrande. Ce titre prend aux tripes et attrape l’âme de la plus captivante des façons. Et d’ailleurs s’il fallait parler de la variété des rythmes, je remarque que sur cet album, BEENKERVER a diminué quelque peu les tempi bien davantage par rapport à son premier album "Ontaard" mais aussi l’EP intimiste "Twee Wolven" sorti l’année dernière. Et je dirais que les vertus du Black Atmosphérique que Niels nous propose se magnifient dans ces rythmes entêtants qui ralentissent parfois la cadence. J’en veux aussi pour preuve le non moins excellent titre "Breng Mij Haar Hoofd" qui semble suspendre le temps et nous laisse nous embourber dans les marasmes de Sophia. Le chant puissant et sombrement hurlé de Niels est un atout majeur et s’adapte idéalement pour conter avec fièvre cette histoire tragique. Il me fait penser un peu à celui de Dis Pater de MIDNIGHT ODYSSEY notamment dans cette façon de conter quelque chose dans un parler hurlant. Les autres titres n’ont pas tous la même puissance d’accroche mais ne dérivent pas vers un quelconque écueil. N’induisant aucune monotonie d’écoute, le titre éponyme mais bien plus encore "De Biecht Van Een Blinde" rassureront aussi les amateurs de blast et de saccades sismiques et n’éconduiront pas ces attendus.

BEENKERVER est un groupe de Black Metal certes mais il conserve en son sein une belle originalité qui ne distraira pas votre écoute mais l’emportera. Discrète sortie certes, mais bien décidé à ce que vous en profitiez autant que moi, écoutez donc "De Rode Weduwe" est un de ces très beaux albums qui nous font sortir de l’hiver les yeux remplis de lumière et d’espoir, et les pensées pleines du sort de Sophia.

Note réelle : 3,5/5.