Les fléaux se poursuivent sur le corps meurtri de la République, et viendra un temps où la gueuse succombera pour de bon, entrainant avec elle ses sénateurs corrompus, ses goinfrés d'oligarques, ses opportunistes débectacles, ses franc-maçons des enfers. Quel beau jour ce sera ! Un jour chaotique, à n'en pas douter, mais des ruines naissent de grandes choses comme lorsque de l'Empire Romain incroyable survint le Saint-Empire aux larges testicules, le gros Moyen-Âge, les cathédrales, la chevalerie, les enluminures, Saint Louis ! Difficile de prévoir ce qui s'extirpera du cadavre putréfié de Marianne, mais il faut souhaiter que ce soit un royaume bien stylé, avec une aristocratie digne de ce nom, un amour du Beau à mille kilomètres des infernales pièces de Jeff Koons et un retour de la chevalerie version moderne comme on l'entraperçoit sur ce superbe art d'EMINENTIA TENEBRIS. Non mais matez-moi cette pochette inspirée par "A Knight At The Crossroads" de Viktor Vasnetsov ! On y retrouve ce même chevalier mais cette fois-ci il n'est pas en face d'une tombe mais d'un énorme château romantique violet soutenu par une falaise aux allures de volutes fantastiques. À son sommet trône un soleil étrange, forme cosmique s'associant à merveille à ces couleurs hallucinées. Quelle pochette mes aïeux ! Et même le logo a un gros château en arrière-plan ! Le bougre est tellement médiéval qu'un seul château tout violet ne lui a pas suffi ! Il fallait un autre château encore plus médiéval avec des créneaux et des meurtrières anti-Sarrasins au cas où le château de la pochette était trop allemand ! Tout le Black Metal Épique est là-dedans, et une fois la galette lancée, on n'est pas déçu du voyage.

CRYO, le sieur derrière EMINENTIA TENEBRIS, n'a pas le temps de niaiser. Il a bien compris que la source du Black Metal c'est le riff, et encore le riff. "Rise Of A New Kingdom", derrière son titre alléchant de retour du Roi, enchaine les suprêmes riffs cosmiques, les envolées lyriques sublimes et autres tricotages de manche qui nous font voyager dans des paysages merveilleux. Écoutez-moi le riff principal de l'éponyme, doublé à la fin du titre, et venez me dire que vous n'avez pas le poil qui se dresse ? Et que dire de "The Final Gathering" avec son break central, qui affirme haut et fort l'aspect résolument lumineux d'EMINENTIA TENEBRIS ? On tient là un des meilleurs riffs de l'année, avec du groove, du génie mélodique, un sens de l'annonce et de la retenue superbes.

Pourtant, tout nous annonçait un énième Black bien sombre. Le nom du projet est à mille lieux de l'obscurité, "Rise Of A New Kingdom" est beau, plein de lumière et de grâce. Oserai-je parler d'Happy Black Metal ? Jamais de la vie, je ne suis pas une petite merde. Mais pensez-y quand même. La traversée de l'album se fait le sourire aux lèvres, l'épopée transpire la fougue, la joie, la volonté de vivre et de vaincre. Il y a chez EMINENTIA TENEBRIS un amour total du Black Metal qui se ressent dans chacun des riffs, dans les structures impeccables de morceaux construits avec intelligence. Le chant, peu mémorable, n'est d'ailleurs là que pour appuyer l'essentiel : ces guitares qui s'entremêlent, dans des crescendos souvent furieux, dans une technicité parfaite qui donne l'impression parfois que DRAGONFORCE tâte du Black Metal. À ce sujet, difficile de ne pas critiquer l'ouverture "Black Moon Arrival" qui frôle le gimmick d'entrée de jeu et ne laisse qu'une trace de pneu avant que l'essentiel ne décolle et ce dès la superbe "Ancient Stones Secrets" dont le final ferait chialer le plus grand des démons (prenons Yann Barthès... Ah merde c'est trop facile de le faire chialer ce con !). Si EMINENTIA TENEBRIS s'enfonce malheureusement dans du moins mémorable et quelque peu pénible avec la conclusion "Supreme Sacrifice", il faut réaffirmer qu'Antiq a définitivement le nez fin, le label met en avant des projets français solides et EMINENTIA TENEBRIS ajoute une étoile à son palmarès tandis que je frôle les 4 s'il n'y avait quelques fautes de goût.

La technique ne dessert nullement l'âme d'un album fort racé, dont l'atmosphère oscille entre profondeur cosmique et médiéval-fantastique. Mettez-vous "Emptiness" dans les oreilles et suivez le conteur Ruder : il faut imaginer notre chevalier de Vasnetsov s'élancer dans un ciel nimbé d'étoiles en quête d'un Graal spatial. Sur la route, il pourfend des dragons stellaires, il sauve des pucelles intergalactiques et s'enivre de vins de Ganymède. La lance éclatante dans le vide abyssal de l'espace, il rêve du retour du Roi, la belle gueule de Louis XX le bouffeur de chorizo au creux d'une amulette. À l'image des Valkyries adorées par les païens de jadis, son cheval pourfend les cieux d'ébène, le regard du brave est tendu vers un horizon sans fin : au bout du chemin l'aventure sans limite, la gloire éternelle, ou la mort assurée, mais quelle différence ? Tout est dans l'audace, l'amour du Beau, et le riff qui porte au ciel les héros à l'âme toujours intacte d'enfant.