Punaise ça ne fleure pas non plus la joie au Canada. Je ne pige pas, ils ont des grands espaces nos confrères, qui pourraient éventuellement leur permettre de crier davantage leur rage, d’aller se ressourcer et de rentrer soulagé, non ? Ou alors est-ce une piteuse représentation de ma part, un raccourci niais qui ne prend pas en considération la souffrance actuelle et contemporaine post-covid. Car oui, BEGOTTEN crache un fiel dépressif prononcé notamment par l’interstice de Thomas Learner, son fiévreux chanteur. Ses vociférations collent exactement au rythme lancinant des leads, qui restent d’une belle noirceur et sont l’enchevêtrement d’émotions variées. Les musiciens n’ont-ils pas été sensibles aux dernières campagnes de prévention sur le risque suicidaire ? Y a-t-il trop d’attentes dans les centres de santé mentale pour pouvoir consulter au Canada ? Les campagnes de prévention sont-elles adéquates ? Comment enraciner l’espoir ? Je divague ironiquement, mais mes questions narquoises ont un peu de sens en ces périodes troubles où l’humanité toussote quelque peu et où, les jeunesses du monde entier, paraissent moins "fleurs bleues" que celles précédentes. Les illusions perdues s’apprennent aussi beaucoup plus prématurément, les combats et les défaites aussi.

Mais il faut bien ne pas trop tomber dans l’hystérie et l’anxiété collective, car je me trompe. La musique sert d’exutoire, comme souvent, condense, concentre et/ou exacerbe le trop-plein. Il s’agit donc d’une des meilleures thérapeutiques qu’il soit, le traitement alpha permettant de faire dériver la souffrance et de redonner du souffle à l’élan. De là à faire une boum et des bonds au plafond avec BEGOTTEN, je n’y crois pas mais qui sait au fond ?

Petit rouleau compresseur mélancolique s’il en est, et pas bégueule pour un sou, la musique de "Nothing Worth Remembering" n’est pas tant que ça plombante. Pour exemple le second titre, qui n’a pas du tout un tempo pachydermique, mais ajuste finement l’énergie d’un Black Metal mélodique racé et des lyrics désenchantés. À l’examen des paroles, je me tourne vers l’auditeur et vous annonce que ça ne va pas le faire pour déclarer votre flamme à votre copain/copine en spoliant le texte. Vous risquez plutôt de prendre une veste, au mieux, ou que votre moitié s’horrifie et fasse un signalement. Soyez plus malin et pour conclure trouvez d’autres agissements plus positifs. Néanmoins si vous concédez à écouter l’album cet été, celui-ci pourrait vous permettre de continuer à vitupérer sous un soleil de plomb et d’hurler votre peine sous votre parasol. BEGOTTEN est dans la grande lignée de ces groupes qui se branchent aux longues litanies enlisées qui honorent la tristesse et le désespoir.

L’art s’épaissirait-il d’émotions quand il se veut triste et qu’il transporte de la mélancolie ? Je remarque que le processus de création est souvent animé, quand les marques de la vie frappent à la porte. BEGOTTEN n’a pas cet aspect froid et clinique qu’ANTI ou APATI possèdent, mais le groupe à un lien de covalence avec les deux entités car il distille une glaire infectée et contagieuse. BEGOTTEN sort du lot notamment par son authenticité, un grand ressac de riffs mélodiques et une ambiance noire, torrentielle et lumineuse à la fois. La production de l’album est bonne, les quasi vingt minutes passent d’une traite. Si vous en redemandez, je vous conseillerais d’écouter le restant de la discographie, tout aussi savoureuse, notamment le premier effort, "A Warning Silhouette", ou l’EP "If All You Have Known Is Winter", petits concentrés d’hostilités dépressives et de relents nerveux.