7 Décembre 1988 : le séisme qui ravage le Spitak en Arménie est sur toutes les ondes. Jon Dee, tel Bob Geldof quelques années plus tôt, se dit qu'il faut faire quelque chose pour venir en aide aux malheureux Arméniens, touchés de plein fouet. L'idée germe de monter Live Aid Armenia, un collectif qui réunirait, un peu dans l'esprit de USA FOR AFRICA quatre ans plus tôt, de multiples figures de l'industrie musicale afin de lever des fonds.

Vite renommé ROCK AID ARMENIA et placé sous la direction de Paul Lovell, qui produira le documentaire retraçant les mythiques sessions, Geoff Downes est choisi pour assurer la direction musicale en compagnie de Gary Langan. Gary Langan, on ne le connaît pas bien mais il est entre autres l'un des ingés régulièrement derrière plusieurs albums de QUEEN. Et cela tombe bien, car Roger Taylor et Brian May vont très vite se mettre au travail. Oui mais sur quoi ? Avant un projet d'album, qui verra plusieurs des protagonistes proposer certaines de leurs chansons, la recherche de vedettes commence sous la houlette du manager Phil Banfield, qui s'occupe entre autres des intérêts d'Ian Gillan. David Gilmour est le premier à répondre à l'appel du collectif qui comporte déjà des membres d'ASIA, QUEEN, PINK FLOYD et maintenant DEEP PURPLE !

"Smoke On The Water" est l'hymne fédérateur du Rock et il est décidé de le revisiter. La première session, censée poser les pistes de base réunit une section rythmique à peine croyable : Chris Squire (YES) et Roger Taylor (QUEEN). Et pour enrober ça, ajoutez une touche d'ASIA (Geoff Downes), et des vocaux badass d'Ian Gillan et de Paul Rodgers à qui le morceau va comme un gant. Les guitares basiques auraient dû être enregistrées ce jour-là par Brian May… qui s'est cassé un bras dans un bête accident de skateboard quelques jours plus tôt. Le documentaire retranscrit bien une ambiance à la fois studieuse, soucieuse de gérer les égos du mieux possible, entre ceux qui s'investissent totalement musicalement (comme Paul Rodgers qui transmet ses idées d'arrangements) ou humainement (comme Brian May qui restera présent pendant toutes les sessions avec Geoff Downes). Ce sera Geoff Beauchamp, du groupe Pop EIGHTH WONDER, et dont on ne verra rien d'autre que la Telecaster à l'image, qui sera embauché pour pallier à l'invalidité temporaire de Dr May.

La deuxième session voit Brian May croiser le fer avec David Gilmour et Ian Gillan poser ses parties définitives, l'occasion d'écouter Gilmour jouer sur une Steinberger sans tête… Ah les années 80 et les instruments au look futuriste. Ça change de ses Stratocaster habituelles dirons-nous. Riffs, overdubs, duels de guitare, il y a un paquet de pistes enregistrées ce jour-là, mais ce n'est rien à côté de la troisième qui va voir trois monstres sacrés partager la six-cordes : Brian May (encore), Tony Iommi et… Ritchie Blackmore. Combien de guitaristes auraient tué pour être là ? Le documentaire permet d'apprécier la franche amitié entre Tony et Brian qui bœuffent sur le "Apache" des SHADOWS. La session suivante est une nouvelle fois à la hauteur puisqu'un troisième vocaliste va se charger d'enregistrer le second couplet : rien de moins que Bruce Dickinson ! Et pour couronner le tout, Bryan Adams, jamais le dernier pour participer à un projet caritatif, vient poser ses chœurs. Et comme il fallait du clavier (enfin encore plus), c'est rien de moins que Keith Emerson (EMERSON LAKE & PALMER) qui apporte sa contribution. Parfaitement préparé (comme toujours), il illumine le morceau avec son lead épique bien entendu. Le tout sera peaufiné lors d'une dernière session avec un autre grand rarement cité (et pourtant…) : Alex Lifeson, toujours aussi sérieux et inventif.

Alors au final, ça donne quoi cette nouvelle version de "Smoke On The Water" ? Alors il faudrait imaginer que "Smoke On The Water" a été écrit à la fin des années 80, car les musiciens se sont appliqués à ne pas reproduire l'original, mais une version actualisée. Alors par certains aspects, ça a pu vieillir, notamment le son de batterie, très (trop) travaillé qui donne une couleur typiquement eighties à l'ensemble. En revanche, il y a certes beaucoup d'intervenants, mais on les distingue bien tous selon les endroits. Downes et Langan ont dû bien s'amuser avec les prises pour concocter cette version où les guitares tirent dans tous les sens, sous les coups de boutoir de Chris Squire et son placement imparable. "Smoke On The Water" par ROCK AID ARMENIA, c'est une réunion de légendes unies pour une bonne cause qui revisite l'un des plus grands standards de notre musique pour lui donner un sacré lifting.