BON ALORS. Géographie.
Allez-y, nommez moi un groupe de Metal qui vient de la Réunion.
Genre une île vers Madagascar, moins d'un million d'habitants, et appartenant à la France. Ouais, on est d'accord que ça part mal, ça cumule pas mal de choses peu propices au développement en profondeur d'une scène adepte de saturation. Même Metal Archives a du mal, sortant cinq pauvres groupes dont personne n'a jamais croisé le nom nulle part. Faut aussi dire que ça s'y prête pas.
Et du coup, maintenant, vous pouvez dire que vous en connaissez au moins un. Un groupe de qualité qui pratique un Metal chelou et qui nous vient de la Réunion. BOUM le bond en avant culturel. De quoi briller en soirée hardos en tout instant, maintenant que même les Îles Féroé sont devenues mainstream. Me remerciez pas, je suis plus à ça près, j'ai l'habitude désormais.

Et du coup, on va revenir un peu sur la genèse et l'historique de tout ça. Se présentant sous la forme d'un trio fondé en 2012, ayant balancé toutes ses idées sur le LP présent au fil de répétitions, et voulant même maintenant se tourner vers la scène avec un recrutement massif. Yes, biographie courte pour un groupe qui démarrait à la base comme simple projet studio et prenant de l'ampleur petit à petit.
Et ces gaillards ne manquent pas d'ambition, comme n'en témoigne absolument pas la pochette qui fait photo prise à la zob pendant une randonnée dans la Creuse. Parce que si c'est artisanal, stylistiquement ça bouffe à tous les râteliers, et on aime ça.
AEON PATRONIST est à l'image de son nom étrange : c'est un beau bordel mais totalement contrôlé et réfléchi. On sent que tout ça est assez artisanal, en témoigne un son de guitare très rêche, un mixage pas toujours au point (le chant par exemple est foutu hyper en avant) et certaines parties pas forcément carrées comme l'intro de "The Hall Of The Two Truths". Mais bon, ça c'est du détail hein. Parce que merde, rendez-vous compte : on est ici en face d'un putain de groupe de Metal Extrême Progressif qui vient de la Réunion ! Carrément ! Rien que ça ça vaut de l'or quoi. Raaaaah.

Du coup on s'inscrit dans quoi ? La base principale est une sorte de Thrash/Death très hybride qui me rappelle nos petits choupis de SYMBIOSIS (référence cocorico). Genre ça riffe assez vite, de manière un peu asymétrique, avec un chant arraché au final complètement Thrash/Death Old School, tentant souvent des incursions un tantinet plus criardes.
Et voilà qu'à côté ça part un peu partout et ça déballe toutes ses idées. On reste sur une musique très très efficace, d'ailleurs ça s'ouvre sur deux morceaux très rentre-dedans histoire qu'on sache vite à quoi on a affaire, mais la déjà citée "The Hall Of The Two Truths" vient nuancer le tout, avec breaks ambiancés et arrangés, riffs parfois hachés et lourds, et structure totalement Prog dans le bon sens du terme. Et à partir de là c'est terminé, on insuffle une ambiance et nous voilà piégés dans un labyrinthe aux teintes souvent orientales discrètes résultant d'emplois discrets d'instruments traditionnels de leur coin (kayamb et darbouka sont de la partie). Et vas-y que le titre le plus brutal de l'album, le terrifiant "Through The Paths Of Delusion" balance des chœurs fantomatiques et s'amuse à se la jouer NILE, tant et si bien qu'au final on a l'impression de se retrouver en face du penchant Death de MELECHESH.

Ouaip, MELECHESH. Même manière de jouer de l'efficacité à toute épreuve au profit d'une atmosphère particulière, réussissant à être tubesque même en sortant un morceau de 8 min 30 qui passe comme papa à la poste. Bien que souvent ça parte en blast, que ça accélère, les riffs restent catchy et ne partent pas dans des déferlantes de notes masturbatoires. Et vas-y que régulièrement ça repart en acoustique tranquillou et anxiogène, que ça ressort la mélodie qui va bien ("The Mad Poet" épique comme il faut) et que ça en impose grave. On en vient même à sérieusement se poser des questions, parce que c'est pas souvent qu'un groupe réussit à caler d'office un tel niveau de maîtrise dés son premier essai, parvenant à bien agencer toutes ses trouvailles pour fournir un machin riche, intéressant mais quand même totalement immédiat et au groove propice à nous remuer bien comme il faut. Juste wow quoi.

Bref je suppose que vous avez fini par le comprendre, AEON PATRONIST ça déboîte comme il faut. On sent le potentiel énorme, l'inspiration, la volonté de se démarquer alors même qu'ils proviennent d'un paysage bien clairsemé metalliquement parlant. Qui sait ce que ce genre de projets un peu fous deviendraient entre les mains d'un label conséquent offrant les moyens de s'en tirer mieux que ça ? Parce qu'au final l'unique faiblesse à noter serait ce son encore un peu DIY, parfois étouffé et au mix hésitant. Mais avec des atouts plastiques en béton et une promotion à la hauteur, nul doute qu'on tient là de quoi faire des ravages et tenir tête à bien du monde, genre autrement que "hey un groupe de Metal des îles !".
Alors vous êtes gentils. Vous faites tourner. Même si vous voulez pas dépenser vos thunes vous en parlez un peu autours de vous, histoire de passer le mot, d'aider à percer. Parce qu'il y a que ça qui peut faire grimper un petit groupe. Please.

Wesh : Voilà un album qui réussit à faire passer son exotisme au second plan tellement qu'il y a de la matière dessus. On approuve.