Les deux premiers morceaux sont pas loin d'être les meilleurs que j'ai entendu dans le milieu du black. Et cet album lui-même est absolument merveilleux, sans exagération.
J'ai expérimenté pas mal de musiques dites "sombres" (et pas que le metal), mais je dois avouer que j'ai rarement pu ressentir une noirceur aussi palpable. Une telle alliance entre une composition irréprochable (c'est simple, chaque riff touche à la perfection) une production magnifique et une ambiance aussi stupéfiante restent à mon avis exceptionnel. Le son, unique et peu comparable précisons-le, est fabuleux de suggestion : il arrive à évoquer à la fois une souffrance tragique (je ne trouve aucune haine ici, juste de la tristesse), et de vastes paysages nocturnes : des forêts à peine éclairées par les étoiles et une lune scintillantes, traversées par des brumes oniriques. Car c'est un autre avantage du disque, le discours reste étonnement subtil et surtout poétique ("nattens madrigal", quel titre !), à travers ces atmosphères irrésistibles et ces riffs écorchés, on n'aperçoit aucun démon, pas plus que d'église en flammes, mais simplement de vastes étendues, mystérieuses et au fond pas si effrayantes qu'on pourrait le penser. Osons le mot : c'est beau. ULVER fait de la belle musique, qui berce le cœur à coup de guitares hurlantes, mais dont les mélodies savent effleurer notre sensibilité sans la blesser, en lui insufflant ces visions pétrifiantes. Le chant, si inhumain pourtant, n'est rien d'autre qu'un nouvel instrument, il n'expulse pas de rage, parfois il parait presque apaisé, et il parcourt ces fleuves de guitares endiguées par les martellements sauvages de la batterie. Il est comme un souffle, une brise gelée qui enveloppe les sapins murmurants. Et quelle batterie ! Bien sûr, les profanes railleront son minimalisme, mais ils auront manqué l'essentiel : c'est une pulsation, le rythme de la course des loups sur la terre glacée, qui s'ajoute aux saturations incessantes pour former un tourbillon forestier. Car nous sommes résolument dans la course : les arbres majestueux défilent autour de nous tandis que nous courons inlassablement, en levant les yeux au ciel pour contempler ces émanations nocturnes, ces brumes qui jalonnent le ciel.
Bergtatt était déjà somptueux, sans-doute le pendant diurne de la présente œuvre, avec un horizon assez dégagé pour observer les montagnes de velours, et Kveldssanger n'est autre que le crépuscule : la nuit d'encre qui coule lentement sur les paysages inviolés autour de nous, pauvres voyageurs blottis près un feu et écoutant avec nostalgie les complaintes lancinantes du monde qui s'endort. Il y aura certes de grands moments dans la suite ("Perdition City" quand même), mais avec ce triptyque beau à pleurer, ULVER marquera à jamais son empreinte, et gravera dans le cœur de tous ceux qui auront croisé sa route une mélancolie primitive, et un désir irréfréné de retrouver cette pulsation, ces forêts perdues dans la nuit.
Une sublime ode à la nature.