Pour apprécier l’extraordinaire musique des Australiens d’AUSTERE à sa juste valeur, il vous faut décrocher et me suivre dans cette mise en scène toute simple. Bon voyage.

La brume danse sur le marais. Les quenouilles ne bronchent pas, les crapauds se taisent alors que l’homme brisé pénètre dans l’eau au terme d’une longue marche dans les bois humides. Sensation d’immensité et d’emprisonnement à la fois.

Sa voix n’est qu’un cri, un hurlement de folie, de peur incontrôlable. La source de cet effroi n’est pas un kraken à huit têtes ou la perte d’un être cher, mais un mal intérieur indéfinissable, un tour de voltige d’une âme fracassée, engluée dans de rigides toiles d’araignée. L’ambiance est écrasante, l’air nauséabond, les insectes et les bêtes n’osent approcher cet humain en décomposition qui se berce de nostalgie, de remords et de regrets ("To Fade With The Dusk").

À genou, la tête dans les mains ou les poings au ciel, sa gueule vomit de sourds blasphèmes alors que de la forêt toute proche proviennent des rumeurs magnifiques à pleurer du sang ("This Dreadful Emptiness"). À travers ces milliers de néfastes vibrations, l’espoir renaît dans la sylve, les arbres tentent d’absorber sa détresse, mais le moribond n’a conscience que de sa lancinante descente aux enfers ("To Lay Like Old Ashes").

Ses larmes coulent et écorchent le peu de sensibilité qu’il lui reste. Ses hurlements reprennent et drainent l’essence qui l’habite. Bientôt, dans ce marais glauque et immobile, il reposera comme un vieux tas de cendres, consumé par la malchance et la défaite. Être passé à côté de son existence, l’avoir vue défiler près de soi sans avoir été en mesure de l’attraper, de l’étreindre, de la garder au chaud. Il y songe entre deux spasmes maudits, la maigre brume ricochant sur lui comme le doux vent s’infiltrant dans ses cheveux. Il a faim, soif, mal, grand mal. Il cesse de crier et se retourne, toujours agenouillé, et constate que personne ne viendra le persuader que sa vie en vaut la chandelle.

Plus le temps pour une rédemption, la fin approche. Il est seul, misérable devant ce mur sur lequel sa carcasse se broiera. Grotesque, mouillé jusqu’aux os, il ne peut s’empêcher de beugler, d’invectiver l’ennemi invisible qui le transperce de part en part. À bout, il entend les cloches retentir au loin et se résigne.

Il ressasse quelques souvenirs heureux, le cou cassé comme une grue victime d’un chasseur sans foi. Ses tripes se tordent et psalmodient son «extrême» onction ("Just For A Moment") tandis que la brume se dissipe et que le jour se tire pour laisser sa place à une brunante encapuchonnée. Il lui reste quelques instants, un moment, pour se souvenir de qui il était, de ce qui le faisait vibrer, de qui il aimait. Il lève le canon près de sa tempe et appuie.

Son cœur cesse soudain de battre et son corps, tranquillement, retombe de son agonie dans les eaux calmes et grises. Son visage repose enfin, dans les abysses d’un peu profond cercueil, son aura s’envole et abandonne son enveloppe pour un long coma duquel il ne se réveillera pas.

Ce soir-là, sous une fine pluie, la sylve priera pour lui et lui dédiera un léger frétillement de réconfort de ses doigts décharnés, de son feuillage embaumé ("Coma"). Le paumé n’entendra ni ne sentira ces offrandes, car il somnole comme un vieux tas de cendres dans l’âtre. Brûlé à jamais, perdu et non réclamé.

"To Lay Like Old Ashes" est une pièce d’anthologie de Black Dépressif. Ouvrez-lui votre âme et faites partie de l’histoire.

4,5 et un salut bien bas