Comment faire chier son monde, volume 156 :
Quand on est Français, les moyens sont nombreux, manifester contre à peu près tout, casser, voter non à l’Europe…
Quand on est Ukrainien et musicien de black metal, la boîte à outils perd tout d’un coup de son volume. Mais Knjazz Varrgoth, tête pensante de NOKTURNAL MORTUM, est un vrai malin et sa méthode est d’une efficacité rare. Alors que le disque compact est commercialisé à grande échelle depuis plus de vingt ans, le monsieur a décidé, pour la réalisation de son projet solo black ambient, de se priver d’une des caractéristiques techniques les plus utiles de l’objet, la découpe d’un ouvrage musical en plages aisément accessibles par la pression d’un simple bouton de sa chaîne hi-fi.
Alors, les artistes font parfois preuve d’un caractère difficile, voire d’une certaine vanité lorsqu’il s’agit d’évoquer leur travail. Et renoncer au saucissonnage d’un opus consiste à contraindre l’auditeur à visionner la fresque dans son ensemble, comme un tout indivisible. L’idée mérite un minimum d’attention. Seulement, chacun sait bien qu’avant de se jeter à oreilles perdues dans une œuvre, même les plus grands mélomanes aiment découvrir par petites touches, picorer de ci de là, afin, au moins, de se donner de l’appétit pour, plus tard, se mettre sagement à table et ne se lever qu’après le café.
Et refuser cette première approche peut s’analyser comme un manque de respect pour le fan qui n’a pas forcément que ça à foutre que de se taper tous les disques sur lesquels il met la main lumière éteinte, casque vissé sur les esgourdes, en exécutant un salut marie avant d’appuyer sur la touche lecture. Pour dire simplement les choses, The Key To The Gates Of The Apocalypse rebute avant même la première écoute à cause de cette coquetterie qui…fait chier son monde.

Mais pour chroniquer un disque, il faut bien surmonter quelques obstacles, aussi pénibles soient-ils à passer. Je rappellerai tout de même à son géniteur que l’œuvre s’étire sur 72 minutes et 3 longues secondes et cesserai ensuite ma bouderie.

The Key To The Gates Of The Apocalypse consiste finalement en un melting-pot de passages (je n’ai évidemment pas le droit d’utiliser le mot titre pour des raisons que tout le monde comprend) atmosphériques aux contours électroniques et d’autres rappelant immanquablement le groupe principal de prince Varrgoth, plus précisément la période Goat Horns, la plus symphonique et la moins vindicative du collectif. Il va sans dire que la dynamique de l’album demande une certaine adaptation, les pitreries ambient ayant une furieuse tendance à allonger inutilement leur plat propos, desservi par un usage peu clairvoyant de claviers trop présents et sentant parfois trop le plastique.

La qualité est pourtant présente et avouons qu’un climat sombre et naturaliste sait se développer, mettant ainsi en valeur les moments black, si l’auditeur lui en laisse la chance. Mais bon, on n’a pas toujours ni le temps ni l’envie alors, je dirai bêtement que The Key To The Gates Of The Apocalypse demande une implication, voire un acharnement (car même plusieurs écoutes studieuses peinent à permettre la laborieuse extirpation de tous les trésors de la galette) dont peu sont capables. Et encore, l’effet narcoleptique induit par cette implication n’est pas forcément la meilleure des récompenses. Alors sachons, malgré notre amour sincère pour le black et l’ambient, ignorer ce projet, l’exhaustivité est une quête de toute façon impossible.