La scène allemande Black Metal a toujours été prolifique et intéressante. Son identité est forte tout comme son extrémisme. Les pires dégénérés en sont issus, les plus insoumis, les jusqu’au-boutistes patentés et les excentriques absolus. Cette scène se perpétue au fur et à mesure que les générations se succèdent. LEIÞA fait donc partie de ceux qui probablement continueront à déployer l’aigle noir vainqueur pour gagner une place de choix au milieu des détritus.

Ce "Reue" de LEIÞA est furieux, mais ce courroux est aussi auto-agressif et surtout intensément triste. Car ce qui marque l’écoute de cet opus c’est cette dialectique dépressive de Noise, le seul maître à bord teuton de cette entité. À l’image de cette pochette équivoque, "Reue" évoque l’effondrement, le point de rupture, le basculement vers le vide et le néant. Les titres sont tous équivoques et paraissent glaner de sombres évènements biographiques. Le champ lexical des paroles ne laissent d'ailleurs pas l’ombre d’un doute sur de probables vécus douloureux, d’épisodes dépressifs majeurs ou d’hospitalisations contraintes. Le premier album "Sisyphus" avait déjà bien embaumé son monde, en affirmant fort justement un style original et reconnaissable. "Reue" va bien plus loin et sonne comme une des très belles sorties que 2023 a compté.

Noise n’est pas un inconnu. Compositeur émérite d’autres groupes dont on entend parler, KANONENFIEBER en premier lieu mais aussi NON EST DEUS, il assure avec LEIÞA un créneau d’excellence maniant le Black Mélodique et un DSBM ultra-vitaminé. Ne vous attendez pas à des compositions lancinantes et à tiroirs, "Reue" est surtout efficace et décongestionnant. Car des titres de bravoure voire de perfection, cet album en contient une petite flopée. J’en veux pour preuve : "01.09.2015", "Tier", "Fremkörper" ainsi que l’énormissime titre éponyme. Assurant une alternance d’ambiance entre agressivité forte et abattement. Un désespoir noir et affamé contamine l’écoute, ainsi qu’un besoin instinctuel montant des profondeurs du corps, d’une brutalité et d’une envie d’en découdre. En découdre avec l’autre et avec soi-même, les entailles, les scarifications se faisant ressentir pour libérer ce trop-plein émotionnel.

Tout est déchirant et tourmenté dans cet album. Noise y assure des vocaux torturés que des démons internes incantent, et ses vociférations s’appairent parfaitement avec le riffing précis et puissant des guitares. La batterie joue aussi un rôle diabolique dans la tension au cordeau de "Reue". Noise est sur la corde raide, et sa férocité est empoignée à bras le corps sur des titres véloces comme "Tier" par exemple. Le point négatif resterait que l’album possède une ou deux compositions qui sont en-deçà des autres, je pense notamment à "Abgang" et "Rauch" qui m’ont moyennement convaincu. Mais je dois mettre dans la balance que ce "Reue" est un disque qui voltige bien au-dessus de la moyenne. Mes petites insatisfactions sont donc fatalement des exigences fortes et bien faciles à écrire. D’autant plus que la production de "Reue", nette, claire et puissante, potentialise l’effet Panzer de l’album.

À l’instar d’un SWORN ou d’un NIGHT CROWNED, LEIÞA est un emportement continu sous le soleil féroce du Black Mélodique racé. "Reue" a été porté aux nues – à raison – dans les tops 2023 qui ont égayé quelques rédactions de webzine. Je ne peux que vous encourager à prendre acte de ses avis futiles ou considérés, LEIÞA ne tire la couverture à personne, il s’honore de sa propre splendeur musicale.