Combien de fois, au détour d'un sordide rayon mal éclairé d'un non-moins sordide disquaire, combien de fois nous est-il arrivé de tomber sur la perle rare et inconnue, seulement attiré par un artwork soigné se démarquant de la sombre masse des productions environnantes ? Même si, l'expérience aidant, nous savons pertinemment tous que l'habit ne fait pas le moine, c'est tout de même ce qui m'est arrivé avec cette dernière production de Jarboe, mais pour la raison un peu particulière qu'au contraire, c'est cette pochette relativement laide mais néanmoins intrigante, qui m'a d'abord aiguillonné puis attiré (à l'époque, la miss et donc, par extension, son travail, m'étant totalement inconnus). Et pourtant, avec ce disque, la compositrice New-Yorkaise n'en est pas à son coup d'essai : Ex-SWANS, participante occasionnelle chez NEUROSIS, A PERFECT CIRCLE, JESU et KIRLIAN KAMERA (entre autres), la miss possède une discographie déjà bien chargée autant en albums solo qu'en collaborations diverses (si bien qu'il n'est d'ailleurs guère aisé d'en tenir un compte juste) et cette nouvelle production ne dérogera pas à la règle musicale élaborée sur ses précédents opus.

Une complainte lancinante, troublante et obsessionnelle. Ainsi se dessine, fugitivement, "Mahakali", noire déesse hindoue du Temps et de la Mort, à la fois mère créatrice et destructrice pour ses adorateurs. Bien plus qu'à des titres ou des chansons à proprement parler, ce sont à de véritables pièces musicales épiques que nous confronte ici la lady, des odes impies scandées en l'honneur de la sombre déité, nous emmenant, au gré de rythmes tribaux, aux frontières de la folie, vaporeuses et distordues, là où la réalité n'a plus de prise et d'où bien peu d'esprits sains sortiront indemnes.

La galette, suintant la boue et la pourriture, improbable mixture entre une musique ambiante toute juste rehaussée de légers bidouillages et un PINK FLOYD sous amphet' empreint de spiritisme, nous sèmera dans sa jungle sonore où s'entrelacent les structures sinueuses et insaisissables des compositions, ployant et se pliant à la volonté de leur conceptrice. La chaleur règne en maître en ces lieux, moite et malsaine, tentant d'étouffer l'amolli auditeur égaré déjà bien assez accablé par la poisseuse humidité des lieux. JARBOE, au gré de ses claviers et de ses saturations diverses nous fait patauger dans un marais sordide de sonorités triturées, baignées dans ce marasme ambiant dans lequel la chanteuse se plaît à nous torturer.

Le rituel se poursuit. Les voix d'Attila Csihar (MAYHEM, SKITLIV) et de Jarboe s'unissent en un incantatoire acte sexuel tandis que le ciel s'assombrit et que la déesse déploie ses multiples membres nécrosés, ensemençant les deux corps entrelacés de ses caresses impies. Sa Grâce n'en a pas pour autant terminé, jouant de ses relations pour agrémenter sa collection de crânes de celui de Phil Anselmo (ex-PANTERA, DOWN) le temps de cet acoustique "Overthrown", brûlant et poisseux, qui marquera d'ailleurs une certaine rupture par rapport au début du disque. La suite demeure tout aussi mystique et sordide, mais donnant cette fois-ci un caractère plus âpre et sec à ce sulfureux panorama musical, sachant alterner les atmosphères et jouer la carte de la sensibilité au détour de quelques morceaux plus bluesy, en laissant même parfois davantage de place aux cordes pour s'exprimer. Le retour au sein des méandres de l'esprit délicieusement psychotique de l'Américaine (où Katie Jane Garside, Shirley Manson, Courtney Love et Amanda Palmer semblent s'être invitées toutes en même temps) n'en sera que plus viscéral.

Mêlant parties acoustiques, hurlements psychédéliques et lignes vocales malsaines et susurrantes, JARBOE nous invite donc à son orgie Grunge Expérimentale, fresque en 16 actes, déconstruite et dérangeante, se mouvant en arabesques instrumentales tortueuses, bruitistes et ambiantes, inaccessibles et parfois nihilistes. Jarboe s'impose ici en égérie du nouveau siècle, icône à idolâtrer puis à brûler vive sur un bûcher purgateur. Assurément, ce voyage initiatique jusqu'aux confins de cette folie malsaine dont JARBOE tente de nous abreuver ne pourra laisser indifférent. Coup de génie pour certains, monumentale esbroufe pour d'autres, Jarboe se pose ici en nouvelle muse Post-Rock/Metal, crade et révoltante, mais ô combien intrigante.

Une chose est sûre, cet album à prendre et comprendre dans sa globalité, ne laissera pas indifférent.