Objectivement "Demons And Wizards" est le meilleur album du HEEP (cela même si mes plus gros émois sont pour "Magician's Birthday" et "Salisbury"), celui aussi dont la production passe le mieux aujourd'hui si on se réfère à la période dite classique.
Jerry Bron avait la main-mise sur ce groupe et installé Ken Hensley sur le trône, ce qui se révélera être à double tranchant. Ce groupe aurait mérité (ou du ?) de faire appel à un autre producteur, qui ne soit pas propriétaire du Label dont il était devenu un pilier. Le mélange des genres c'est forcément périlleux, et le HEEP ne sera toujours et au mieux qu'un second couteau. LED ZEPPELIN est intouchable mais DEEP PURPLE (lequel possède quand même une longueur d'avance) et BLACK SABBATH feront de meilleurs choix. Par contre au niveau du blindage il semble indestructible.
Mais revenons au disque qui se présente revêtu d'une fabuleuse pochette peinte par Roger Dean, dont l'univers illustre parfaitement celui du HEEP emprunt de fantasy.
Quand la première face s'achève, on se dit qu'a entendu que de l'inoubliable pour peu qu'on soit sensible à cette musique."Circle Of hands" par exemple, qui la conclue en grandes pompes mais savant tout en magnificence, est la petite sœur de l'épique "July Morning" parue sur l'opus précédent. En mieux.
Et puis vient cette deuxième moitié, au moins aussi solide, avec ce final grandiose. "Paradise/The Spell", un machin vraiment Prog, plus que "Salisbury" mais en (un peu) moins de temps, une prouesse au niveau des enchaînements avec l'utilisation d'un accord dissonant pour lancer un premier crescendo menaçant et lourd qui précède un fondu enchaîné sur un versant pop comme pouvaient le faire GENESIS ou YES, lequel débouche sur un passage planant qui lorgnerait plutôt vers PINK FLOYD avec solo d'Hensley à la slide, avant l'arrivée d'un piano mélancolique qui lance une mélodie vocale clairement posée sur laquelle "Byron" donne une interprétation de toute beauté, enfin la conclusion se fera très pop, Beatlesienne en diable, du grand art.
Une autre particularité de cet opus (et non la moindre), c'est qu'en dépit du fait qu'on a droit à un (déjà) énième changement de line-up rythmique en direct avec l'entrée de Gary Thain en lieu et place de Mark Clarke lequel pourtant cosigne et joue sur "The Wizard", un titre toujours d'actualité sur les set-lists du groupe aujourd'hui.
L'arrivée de Gary Thain, l'homme qui m'a fait écouter et aimer la basse, va provoquer de gros bouleversements en terme de trame sonore, faire du HEEP, un groupe de hard encore plus atypique, car désormais l'instrument prendra le pas sur la guitare et sera carrément mis en avant. Gary Thain joue des mélodies, balance des contrepoints avec un jeu aux doigts aérien, fluide et limpide. On devine le virtuose mais l'homme sait donner ce qu'il faut au bon moment sans trop en faire. Le jeu idéal pour s'inscrire dans l'identité baroque de la musique,qui la renforce tout en y laissant son sceau et de fait la pousse à évoluer. Ni Wetton, ni Daisley n'auront cette grâce qui sied tant à ce groupe, contrairement à Bolder.
Lee Kerslake, débarque lui aussi, son importance et sa longévité dans le groupe ne sont plus à démontrer.
La formation reine est née avec "Demons And Wizard" et mine de rien, elle allait sortir quatre disques et un Live en deux ans ce qui pouvait être considéré comme assez long en terme de stabilité pour une formation qui n'allait la connaître que longtemps après, loin des spotlights mainstream et des Dieux (encore) vivants des 70's. Au moins, il a l'air en forme. Les seconds couteaux ne sont donc pas nécessairement totalement maudits. Les démons et les mages/sorciers n'en ont pas fini d'en découdre.