Le JEFF BECK GROUP revient très rapidement aux affaires après un "Rough And Ready" vivace, mais accueilli un peu fraîchement par la critique. La pochette est une nouvelle fois très simple, avec un alignement de photos des musiciens dont les couleurs varient d’une ligne à l’autre. Ce disque, sans titre, est communément appelé The Orange Album à cause du fruit qui orne la case du milieu, en haut de la jaquette. Sur le précédent essai, Beck avait écrit la majorité des morceaux. Là, il se montre toujours présent à ce niveau, mais de nombreuses reprises émaillent ce disque, certaines surprenantes, d’autres plus logiques. Faut-il voir là une absence d’inspiration ?

Si "Rough And Ready" présentait encore une facette un peu Rock au milieu des morceaux Soul et Rhythm And Blues, celui-ci va doucement effacer cet aspect-là sans parvenir à le supprimer totalement. Beck reprend exactement là où il s’était arrêté auparavant et affine cette formule, en se mettant quelque peu en retrait afin de mettre le groove en avant et surtout la voix du regretté Bobby Tench, une voix qui présente quelques similitudes avec celle de James Brown, mais qui n’en fait jamais trop. Aussi ce disque est gorgé de feeling et s’écoute comme on sucerait un bonbon un peu acidulé. Si vous cherchez du Hard Rock ici, passez votre chemin, vous n’en trouverez pas.

Bien que Beck fût l’un des instigateurs de ce mouvement avec ses deux premiers albums sous son nom propre et avant cela par touches subtiles au sein des YARDBIRDS, il s’en est très vite désintéressé, pour explorer d’autres voies avec son instrument. S’il y reviendra par instants, il se laissera toujours guider par les expérimentations (parfois malheureuses, convenons-en) et ici, il peaufine ce qu’il avait entamé sur "Rough And Ready". Il varie les plaisirs, joue au médiator et aux doigts, se fait plaisir au bottleneck ; même s’il donne l’impression d’être moins à la fête que sur l’album précédent, il délivre une prestation solide et imaginative, avec une liberté que ne lui laisse peut-être pas le Rock de façon général.

Aussi ce disque dégouline d’un groove irrésistible (et là saluons la prestation derrière les fûts de Cozy Powell, très délicate) et de morceaux qui fonctionnent très bien, entre Soul, Rhythm And Blues et quelques touches plus Rock dans les intentions. Et il y a donc ce travail d’adaptation réalisé par le groupe afin de personnaliser les reprises faites ici, qui pourtant ratissent assez large (on passe d’un standard Motown comme "I Can’t Give Back The Love I Feel For You" à du Bob Dylan ou du Carl Perkins). Pour qui ne connait pas les originaux, elles donnent l’impression d’être des compositions du groupe tant elles se fondent naturellement dans l’album, la voix de Bobby Tench aidant beaucoup à cela tant ce dernier ne cherche jamais à imiter qui que ce soit.

Et s’il fallait en choisir une parmi les cinq (!) qui émaillent ce disque, ce serait "Going Down" de MOLOCH, morceau écrit par feu Don Nix (*) (producteur et auteur qui aura travaillé avec Freddie King par exemple). Si vous voulez en savoir plus sur ce groupe, je vous invite à lire l’excellente chronique faite par le Kingbee (qui lui aussi nous a hélas quitté) sur Forces Parallèles à laquelle je souscris entièrement. Bref, nous avions à la base un titre relativement court, trois minutes environ, qui officiait dans un Blues un brin psychédélique et Beck va le triturer, improviser dessus et créer une chanson de près de sept minutes gorgée de Soul et absolument brillante. Pour l’anecdote, Freddie King avait déjà repris ce morceau l’année précédente sur l’album "Getting Ready" (produit par Don Nix. Vous suivez ?).

Bref, "Going Down" résume parfaitement la générosité des musiciens sur ce disque (et je parviens à retomber sur mes pieds après avoir digressé et perdu le fil, bravo à moi) qui contient son lot de titres réussis. En premier lieu nous avons "Ice Cream Cakes" qui est une entrée en la matière plus feutrée que ne l’était "Got The Feeling" sur l’opus précédent, mais qui ne manque pas de charme avec son groove posé qui permet de prendre doucement la température de l’album. "Sugar Cane", qui marque une collaboration de Beck avec Steve Cropper (là, on parle d’un mec qui a produit Otis Redding quand même) se veut un peu plus mouvementée, mais on s’arrêtera surtout sur "Definitely Maybe" qui clôt cet album avec maestria.

D’ailleurs, ce disque est produit par Cropper, qui a un don pour équilibrer le son des instruments et les mettre en valeur sur des moments clés. Aussi on est surpris par quelques notes de piano virevoltantes assurées par Max Middleton (qui sera l’un des atouts majeurs de la réussite de "Blow By Blow" trois ans plus tard) qui surgissent par instants, fugaces mais bien présentes avant qu’un solo de Beck ne viennent les supplanter. Cette prod’ fait que ce disque n’est pas criard, qu’il respire une certaine sérénité et surtout, qu’il ne laisse aucun des musiciens présents ici frustré par la place qui lui est allouée.

Malheureusement, la critique n’aura pas été tendre avec "The Jeff Beck Group" à sa sortie, beaucoup ne le jugeant pas assez Rock, pas assez démonstratif également, alors que Beck l’était par le feeling dont il faisait montre et par sa technique qui ressortait tout de même. Le groupe aura vécu, l’ombrageux guitariste provoquera un nouveau split et ce dernier ira rejoindre Carmine Appice et Tim Bogert (qui avaient tous deux quitté CACTUS) le temps d’un album et d’une tournée d’où sera tiré un Live monumental au Japon. Un retour au Hard Rock, donc, mais ça, c’est une autre histoire.

(*) Retenez bien ce nom, il reviendra sur le tapis quand ont parlera de BECK, BOGERT & APPICE.