Pour une frange non-négligeable des amateurs de Heavy Metal, SABATON est un groupe dont les albums ne présentent qu'un intérêt limité (ce qui est un comble quand on voit le mal que le quintet suédois se donne pour porter les messages qu'ils contiennent). Non, pour ces gens-là, qui apprécient le groupe, SABATON est avant tout un groupe de scène. Et c'est quelque chose que je peux comprendre en un sens ; c'est ce que je pense de HAMMERFALL par exemple. Et comme son grand frère, j'ai vraiment compris ce qu'était SABATON en les voyant sur scène en 2013, dans une configuration originale d'ailleurs, puisque leur nouveau batteur d'alors, Robban Bäck, en congé paternité, était remplacé temporairement par Snowy Shaw, alors même que la formation suédoise cherchait ses nouveaux repères au sein d'un effectif reconstitué autour de Joakim Brodén et Pär Sundström.

C'était alors le deuxième passage des Suédois au Wacken, qui pour la première fois avaient foulé la scène de la Party Stage cinq ans plus tôt lors de la tournée "The Art Of War". Je m'en rappelle alors car je n'avais pas accompagné mon pote Destroyer, qui était déjà un grand fan. Je lui devais d'ailleurs ma découverte de SABATON avec le titre "Attero Dominatus".
Nous sommes en 2019. Les choses ont beaucoup changé et SABATON est désormais l'un des principaux leaders de la scène et remplit désormais des arénas à travers l'Europe. Sa popularité de 2013 n'a fait que croître et il célèbre alors, avec la sortie d'un album complet dédié à la Grande Guerre ("Great War") ses vingt ans de carrière. Bien sûr il va filmer et nous permettre de témoigner du bond effectué en cinq ans, même si "Heroes on Tour" montrait bien que la formation continuait à prendre de l'ampleur.

C'est cependant une nouvelle ère qui s'est ouverte avec "Great War", avec le départ de Thobbe Englund, remplacé par le génie Tommy Johannsson. C'est aussi le recours à des bandes pré-enregistrées de plus en plus amples et symphoniques, renforçant la dimension épico-symphonique de sa musique, mais surtout des chœurs qui masquent un peu ceux toujours effectués par les musiciens du groupe, à la manœuvre sur tous les titres de SABATON. C'est aussi une tournée rocambolesque, qui voit le groupe remplacer MANOWAR au pied levé au Hellfest 2019 après avoir joué la veille en terres clissonnaises. Les Français s'en rappellent ; le concert avait été assuré avec le concours vocal de Tommy Johansson, Chris Rörland et Pär Sundström, Joakim Brodén ayant la voix flinguée et lâchant l'affaire après "Resist And Bite".

Pour ses vingt ans, Wacken attendait un « night to remember » et SABATON aura ramené la vingtaine de choristes qui l'avait accompagné sur la tournée. Cela apporte incontestablement une dimension supplémentaire à des refrains comme "The Price Of A Mile" ou "The Lion From The North"). On peut y ajouter toute sa production scénique à base de barbelés et de sacs, reconstituant les tranchées évoquées en long en large et en travers ; car rappelons-le, si SABATON est souvent réduit à un groupe de grands enfants qui aiment un peu trop jouer aux petits soldats, ils s'attarde pas mal sur l'aspect humain des conflits, et a contribué à m'arrêter sur le parcours de personnes déjà considérées comme des héros de guerre, mais aussi pas mal de ces « unsung heroes » mais aussi des conflits ou des batailles que nous, Français, ne connaissons pas forcément (je pense en particulier à la rupture du siège de Vienne par les hussards ailés de la Ligue catholique qui signe le début du déclin de l'Empire ottoman raconté dans "Winged Hussars").

Et les réjouissances commencent rapidement pendant ce concert où Thobbe Englund, qui est resté très proche du camp SABATON, ne vienne interpréter avec ses camarades "Fields Of Verdun" qu'il a écrit pour "Great War". Et la camaraderie que l'on peut observer sur scène est absolument saisissante et fait vraiment plaisir à voir. Plus que les performances des musiciens, qui ne s'économisent pas, ce sont ces sourires qui barrent en permanence leurs visages, et toutes les blagues qu'ils peuvent se faire les uns aux autres. Joakim Brodén, qui trouve que c'est fun de rejouer avec Thobbe, l'invite à jouer de plus en plus de morceaux avec la bande jusqu'à ce que ce dernier ne vanne en disant non, car la bière est meilleure de l'autre côté. Arrivé à un peu moins d'une heure de concert, Pär Sundström, visiblement très ému et revanchard, apparaît sur la Harder Stage, mesure le chemin parcouru en vingt ans, tranchant avec le débonnaire Joakim, blaguant sur le fait que Wacken leur avait demandé un show spécial, et que pour cela ils occuperaient la deuxième scène. Pär Sundström est donc rejoint par Thobbe, mais aussi par Daniel Mullback, Daniel Mÿhr et Rikard Sundén (CIVIL WAR) et tous trois ex-SABATON !

Et là où ça va devenir une véritable célébration, c'est que la déflagration est mortelle, le coup d'envoi étant donné par le speed "40:1" propulsé par quatre guitares, un clavier, un bassiste (qui font tous les chœurs), deux batteries et le chœur d'hommes. D'autant que les musiciens additionnels vont rester sur scène jusqu'à la fin du show, jouant donc une bonne partie de titres qu'ils n'ont jamais enregistrés avec SABATON. Petite ombre au tableau néanmoins ; ceux qui étaient présents, ou qui ont pu visionner des extraits de ce concert filmé par le Wacken Open Air, auront remarqué que quelqu'un a été effacé de l'histoire entre-temps. Coupé au montage (y compris pendant le discours de Pär Sundström), et effacé des images (y compris pendant son solo sur "40:1"), Rikard Sundén s'est volatilisé et n'est pas crédité au générique, et ce pour des raisons compréhensibles : le guitariste a été condamné début 2021 pour agression sexuelle sur mineur et détention de pédopornographie, et a donc quitté CIVIL WAR et même changé de nom, faisant profil bas depuis sa peine.

Avec "20th Anniversary Show - Live at Wacken" SABATON a commémoré un passage important de son histoire, a considérablement fait évoluer sa dimension live et le visionnage du Blu-Ray restitue à merveille cette ambiance de fête. On remarquera que le grain de l'image et le son mettent quelques instants à se stabiliser, mais la grandiloquence du show est très bien retranscrite, et permet de profiter d'un de ces évènements exceptionnels, qui trop souvent ne survivent que dans les souvenirs ou dans des vidéos de téléphone portable pourries. J'en ai même zappé de vous parler de la participation de Tina Guo, sapée en SABATON pour la circonstance pour le final parfaitement adapté sur lequel son violoncelle électrique se mêle très bien au supergroupe alors en action. Sorti simultanément avec "The Great Show", ce concert de Wacken 2019 constitue selon moi le plus mémorable des deux.