"Le rock'n'roll est un art cabossé depuis longtemps". Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Danko Jones. Et l'espiègle canadien de compléter : "Le titre vient d’un ancien nom de chanson qu’on avait dès les débuts du groupe. On l’a ressorti parce qu’il disait exactement ce qu’on voulait exprimer : le Rock’N’Roll est toujours vivant, même abîmé." Bien vivant, DANKO JONES, avec ce sixième album studio, qui débarque dans les bacs deux ans après un "Below The Belt", qui avait le mérite de remettre l'église au centre du village après un "Never Too Loud" à la fois audacieux et déstabilisant, dispersé, qui offrait en tout cas un visage inédit du power-trio. Entre temps, le batteur Dan Cornelius s'est fait la malle, remplacé par le cogneur américain Atom Willard, remarqué pour sa pige de luxe chez The OFFSPRING, et qui livrera ici sa seule collaboration avec le groupe canadien.

Pour soigner ce Rock’N’Roll cabossé, malmené, Danko décide de bosser avec son producteur fidèle, Matt DeMatteo, mais choisit de faire appel à un grand nom du mixage, en la personne de la légende Mike Fraser, qui parvient à capter la puissance du groupe sans la rendre trop propre, et à exalter cet équilibre entre l'énergie brute et la volonté des Canadiens de proposer quelque chose de plus abouti. Le trio opte d'ailleurs pour un compromis satisfaisant en termes d'enregistrement, puisqu'il réalise ses prises en studio dans un environnement live et y ajoute dans un second temps les overdubs nécessaires. Une approche qui permet en effet de conserver ce côté brut et brûlant, à peine sorti du four, de la musique de DANKO JONES, tout en lui apportant un degré de précision qui renforce son impact.

Le résultat est intéressant, car se dégage de ce "Rock and Roll Is Black and Blue" une intensité que l'on n'avait pas ressenti depuis "Sleep Is The Enemy". Replacé dans la discographie du groupe, ce sixième album est un des moins foncièrement Rock’N’Roll, malgré la participation de Mike Fraser. Un peu plus sleep, à la fois Punk et mélodique, il apporte une saveur différente, et voit Danko s'exprimer avec une audace renouvelée. Allez, il y a bien un petit air de "Thunderstruck" sur le lick de guitare de "Always Away", un des temps forts de l'album, mas ce clin d'oeil relève plus de l'anecdote que d'une réelle orientation musicale. D'ailleurs, ce morceau qui se révèle soigneusement confectionné, très élaboré et porté par une formidable montée en intensité, est à l'image de plusieurs bonnes surprises de cet album. Déroulant pour l'essentiel des sonorités évoluant en terrain connu, il se transforme sur sa deuxième moitié, gagnant en agressivité, en puissance, autant qu'en mélodie, et symbolisant ainsi cette volonté de DANKO JONES de faire preuve d'une certaine sophistication du propos.

Pour autant, le chanteur ne s'excuse pas. Au contraire, il fait même preuve ici d'une certaine intransigeance du propos, que l'on retrouve sur ces fulgurances Hard / Punk qui parsèment l'album, à l'image de l'agressif "Terrified" qui en constitue la mise en bouche ou de la fulgurance "I Don't Care", particulièrement savoureuse, réminiscence de la musique telle que pratiquée par le groupe au début des années 2000. Cet album séduit par sa force brute, ses riffs carrés, ses punchlines sexuelles et son arrogance old school. Un concentré d'adrénaline que l'on retrouve sur la rugosité précise de "Get Up", porté par un superbe refrain, toujours à la frontière entre Rock, Hard Rock et Punk. Nous sommes toujours surpris par ces solos d'un minimalisme juvénile assumé, symbole d'une recherche de simplicité dans un monde de plus en plus faussement alambiqué.

L'album se fait parfois régressif au possible, comme sur le mid-tempo "Legs", dont la basse vrombissante constitue un atout non négligeable. Le morceau est joyeusement con, porté par des paroles bas du front qui élèvent la vacuité au rang d'art. Entre "The Jack" et "Can I Sit Next to You Girl", voici un Rock’N’Roll d'une très grande puissance, dont "Don't Do This", plus loin sur l'album, constitue une variation sur le même thème. Il y a ici de vrais titres marquants, à l'image de "Just a Beautiful Day", titre Hard intense et moderne, dont les envolées vocales sur le refrain constituent une nouveauté dans le répertoire de DANKO JONES. À la fois recherché et immédiat, conservant l'efficacité et la simplicité qui font la beauté de la musique du groupe canadien, ce morceau aurait mérité de passer à la postérité et d'être intégré durablement dans la setlist de la formation. Comme un rendez-vous manqué avec ce morceau sensationnel.

Varié, l'album propose avec "Wear Me Down" un Blues sensuel dont le riff doit beaucoup à LED ZEPPELIN, avec "Conceited" un brûlot furieux aux intonations Sleaze prononcées, ou encore avec "I Believe in God" un gospel déjanté, émanation d'un rocker qui, derrière le masque du fun éternel, serait peut-être à la recherche de quelque chose de plus profond. Mi-prédicateur, mi-suppôt de Satan, Danko rugit ici plus qu'il ne chante, avec cette voix râpeuse qui exhale la bière tiède et une absolue confiance en soi. Gagnant en mélodie dans sa deuxième moitié, le morceau clôture parfaitement un album somme tout à l'image de son titre : noir et bleu, cabossé, mais debout, fier de ses bleus. "Rock and Roll Is Black and Blue" voit DANKO JONES marteler ce qu’il sait faire de mieux : un Rock tendu, sans fioritures, habité par une énergie animale, et complété par une recherche de sophistication nouvelle. Pas de posture, pas de nostalgie, mais la juste conviction que le Rock’N’Roll vaut toujours la peine d’être joué fort. Avec un sourire carnassier aux lèvres, Danko démontre une fois de plus que, en ce début de XXIème siècle, le genre n'existe pas vraiment sans lui.