Le Black Metal est queer, voilà j’affirme ça de but en blanc histoire de directement vous plonger dans mes réflexions quotidiennes sur la musique. Alors bien sûr j’imagine déjà les gens contre argumenter mon affirmation de manière plus ou moins raisonnable mais laissez moi exposer les choses. Le Black Metal, c’est une musique de marginaux, c’est une musique qui fonctionne aux émotions fortes, c’est une musique de rébellion, qu’elle soit adolescente, irréfléchie ou parfaitement consciente. Et aujourd’hui, niveau communauté à la marge à bien de quoi faire un stock de rage et de volonté de faire brûler le monde, la communauté queer est plutôt bien placée pour ça (et pas qu’elle bien sûr). Personnellement, cela fait à peu près quatre-cinq ans que je m’intéresse au Black Metal joué par des personnes queer (et aux autres genres musicaux aussi d’ailleurs) et j’y trouve quelque chose que je ne retrouve pas dans d’autres projets, une rage particulière et sincère, une épice queer au goût indescriptible mais qui se ressent à l’écoute. Et ce n’est pas avec DOUVE, le groupe dont il est question aujourd’hui, que je vais changer d’avis.

DOUVE c’est un projet qui s’est créé autour de l’ex-MOONREICH et ex-MORTIS MUTILATI Chloé Casasola et qui a rejoint l’écurie de Mort Sur Musique pour son premier album "Sol". Je dois dire que j’attendais impatiemment l’album, n’ayant pour l’instant pas été déçue par les sorties du label parisien et ce n’est clairement pas le single sorti en avance qui allait me rendre patiente. Parce qu'on est avec "Sol" sur une très belle sortie, même si le premier contact n’est pas forcément de tout repos. Ce qui m’a directement frappé, et ce dès ma première écoute du single "Un Mur Blanc Couleur Pilule", c’est la production de l’album, très rêche et presque dépouillée, à l’image du tournesol de sa pochette. Un truc suffisamment produit pour ne pas être du Raw Black, mais suffisamment minimaliste pour se montrer sans aucun artifice, une sorte de mise à nu du son assez particulière qui m’a demandé quelques écoutes pour bien l’apprécier. Ensuite, que dire sur le chant d’Asphodel sinon qu’il est juste bluffant ? Des hurlements rageurs et véritablement écorchés qui restent pourtant terriblement humains en véhiculant beaucoup d’émotions, et pour peu qu’on suit avec les lyrics sous les yeux, ça retourne pas mal. Et niveau instrumental aussi ça joue très fort, la guitare se montre particulièrement mélodique quand il s’agit d’être agressive ("Heureux Ceux Qui Nous Violent", "Un Mur Blanc Couleur Pilule", "Novembre", "Tout Brûler") et qui sait se mettre en retrait pour laisser briller la batterie et la basse quand il faut se poser (ces instants plus calmes sont particulièrement excellents sur "Rien Jamais Personne N’Existe" et "Un Mur Blanc Couleur Pilule").

Bon musicalement, c’est vraiment excellent (il y a juste "Vestiges" qui me fait tiquer avec son introduction un peu famélique se basant sur un riff assez simple), je pense qu’on est dans une des meilleures sorties Black Metal de cette année. Cependant, ce qui en fait un album à ne pas louper, c’est les émotions qu’il procure. Alors oui, on peut trouver le chant poignant, on peut trouver les quelques vocalises claires sur "Novembre" très belle, mais cela fait un moment qu’un album ne m’avait pas retourné le ventre comme "Sol" l’a fait. Il y a déjà les paroles, bien écrites mais très crues et traitant de sujet douloureux : viol, dysphorie, aliénation… Tout cela trempé dans une rage palpable à chaque instant et qui nous maltraite autant qu’elle fait fonctionner l’empathie. Et puis après, il y a "Anamnèse" qui est un morceau particulièrement difficile à écouter, la musique se montre ici aux portes du Black Dépressif, très douce au début mais montant en intensité au fur et à mesure tandis qu’une personne témoigne d’un viol qu’elle a subi, c’est glaçant et douloureux et aurait bien pu finir l’album sur une note d’une noirceur infinie si il n’y avait pas eu "Tout Brûler" pour transformer cette douleur en rage. Un "Tout Brûler" presque enjoué à sa manière, une rage libératrice et salvatrice clôturant l’album sur une note grandiose.

Sur ce premier album, DOUVE montre déjà une identité forte, unique. "Sol" est un cri de rage, de tristesse, un album vraiment viscéral qui mérite qu’on s’y intéresse. Le Black Metal est queer car il est un véhicule parfait à la rage qui bout dans cette marge de la société. Il est queer car il est un espace où peut s’exprimer une réalité bien plus dure que ce qu’on peut imaginer. Et DOUVE en est une de ses plus belles expressions.