Avec cette pochette intrigante et initiatrice d'envoûtement signée de l'artiste néerlandaise formidable Meike Hakkaart, alias Art Of Maquenda (regardez un peu sa page web pour vous faire une idée de son talent), voilà qu'il nous est aisément possible de plonger dans le grand bain occulte et magique de ce nouveau projet de l'ultra-prolifique (et c'est peu de le dire) Déhà, accompagné cette fois encore par l'illustre Brouillard (VERTIGE, SPHERE, BROUILLARD), avec laquelle il avait déjà collaboré au sein de TRANSCENDING RITES. Et cette plongée va être enivrante à plus d'un tour, soyez prévenus. ALUKTA passionnera les amoureux invétérés du Black/Doom atmosphérique bien teinté de riffs oniriques et occultes.

Prenant sa source au travers des rites funéraires et des coutumes des Toraja, ce peuple indigène des îles Célèbes, en Indonésie, qui momifient leurs défunts avec du formol, continuent à leur donner à manger, à leur parler pendant parfois des années – ne les considérant pas véritablement morts, mais malades, avant qu'un enterrement très coûteux n'ait lieu (la famille sacrifie autant de buffles que possible, et cela revient très cher) – les déterrant également chaque année pour changer leurs vêtements et les promener dans le village, ALUKTA déploie, en six beaux titres, une très belle proposition de musique extrême hautement ambiancée, un peu à la ERSHETU dans le fond, bien que notre duo francophone insiste plus lascivement sur le côté rituel. Doomy et sombre, "Merok" traîne des riffs lourds, des rythmes telluriques qui brassent la terre et les âmes, et encense la Mort.

Le chant de Brouillard, perçant, hurlé ou incanté, ainsi que le concours régulier de celui de Déhà, s'équilibrent parfaitement. Les parties rituelles sont aussi très réussies et donnent de la texture au thème de l'album – qui n'en manquait déjà pas. Déhà, comme à son habitude, nous administre sa science du riffing et des leads éclatants, avec une variété émotionnelle et une richesse mélodique soignée et entêtante. En écoutant "Des Teintes D'Éternité", nous nous surprenons à fermer les yeux et à parcourir, libéré, le chemin de ce Doom quasi Funeral par endroits, aux teintes Black Metal bien marquées de par le chant vociféré de Brouillard et les ambiances lugubres. "Aluk To Dolo" est sans doute le titre qui m'a le plus fait chavirer au doux son hypnotique des guitares, des rythmes implacables et des écorchures de Brouillard. Les parties acoustiques s'entremêlant au chant rituel, au milieu du titre, sont du plus bel effet. N'omettez point d'écouter la tribalité spirituelle très réussie de "Kombengi" ou majestueuse de "Exuvia", qui clôture l'album.

Non, vraiment, il n'y a pas grand-chose à critiquer sur ce bien original "Merok". Des albums de cet acabit, nous aimerions en entendre bien plus régulièrement. Déhà m'impressionne à nouveau. Son talent de compositeur est immense, et son acuité musicale est somme toute assez exceptionnelle. J'espère que ALUKTA aura une suite, car, dans les méandres des multiples projets du Belge, il est un de ces projets les plus remarquables. Le duo qu'il compose avec Brouillard est optimal. Pesant, lourd, mystique et triste à la fois, "Merok" est un album de feu, en feu. Insaisissable, beau, labyrinthique et accessible, il se doit juste d'être remarqué, écouté et promu à sa juste valeur. Bravo !