Aller à des concerts n’a jamais été trop ma tasse de thé, car, hormis en garder un ressenti visuel, j’ai souvent été déçu par les bouillies sonores ou les balances mal équilibrées, et l’insuffisance des musiciens à générer du spectacle ou à exprimer des ambiances une fois sortis du studio. Et puis cela a tendance à désacraliser, dans mon esprit, les musiciens, les rendant ordinaires, vilains ou saugrenus. La musique extrême n’aurait de sens en live, pour moi, que si elle est projetée sur la gueule du public par de vraies personnalités déviantes, et qui véhiculeraient leur cruauté, leur souffrance, leur terreur bien au-delà d’un simple show. C’est ainsi, on ne se refait pas. Aller en concert est aussi une habitude très présente et ancrée chez les métalleux. Il s’agit aussi d’un moyen très sympa, au demeurant, pour tisser du lien et participer, de fait, à faire progresser le mouvement en soutenant les groupes.

Pourtant, les Allemands de KANONENFIEBER, sous leur cagoule et leurs accoutrements de soldats, ont offert aux 1800 personnes de la "Turbinenhalle II" un très beau spectacle. La scène décorée comme un poste avancé (avec sacs de sable, barbelés, canons…), les jeux de lumière très intelligemment maîtrisés, et le jeu scénique des musiciens, qui vont donner de leur personne sans jamais trop en faire, et surtout pas caricaturalement, apportent un beau visuel aux propos du groupe : dénoncer les meurtrissures humaines des deux grandes guerres mondiales. Et ce show va aussi manifester différentes parties pour lesquelles les Allemands vont changer trois fois de costumes d’époque. Et Noise, en bon leader, va réussir à haranguer la foule de sa voix savoureusement agressive, bien arrachée sur les bords et qui sonne de manière stupéfiante, comme sur les albums de studio.

Le groupe va puiser dans les deux uniques albums qu’ils ont composés et qui ont obtenu un large succès : "Menschenmühle" et le tout dernier, sorti tout juste l’année dernière, "Die Urkatastrophe". En visionnant le concert, je remarque que le groupe paraît communier très fortement avec son public, que l’on aperçoit par ailleurs très souvent. Celui-ci s’est aussi parfois grimé le visage et s’est habillé selon les codes vestimentaires promus par le groupe : des uniformes militaires anciens de l’armée allemande. Le public est avant tout présent pour ne pas perdre une miette du jeu scénique de Noise, qui arrive à capturer l’attention par sa gestuelle et sa manière de captiver l’auditoire par le contenu des paroles qu’il vocifère. La mélancolie du désastre, l’écœurement de la charpie humaine, de ces jeunes hommes que l’on imagine aisément balancés en pâture sur les champs de bataille par un haut commandement dédaigneux, la tristesse sans nom et les torrents de chagrin sont perceptibles dans les motifs sonores de KANONENFIEBER.

Le groupe joue ainsi tous les titres qui sonnent aujourd’hui, poussés par un succès bien légitime, comme des hits : "Menschenmühle", "Sturmtrupp", "Die Feuertaufe", "Der Maulwurf", "Die Havarie". Le son puissant est impeccable et permet à cette prestation de prendre une tournure plus majestueuse et plus envoûtante encore. La trame entre les différents titres des deux albums, le jeu scénique et les riffs dantesques propres au groupe me font réviser mon jugement concernant l’intérêt malingre que je portais aux concerts depuis lors. Je concède aisément que ce live est donc digne d’intérêt et qu’il a valu son pesant de cacahuètes pour ceux qui ont pu y assister. Va pour cette fois !