En embrassant la vague du Black Sympho avec chant féminin prépondérant, les Norvégiens de DISMAL EUPHONY se jettent en 1996, année charnière et pivot pour le Black Metal, dans la cascade gelée avec conviction, mais aussi avec plus ou moins de maladresse. Les codes du Black norvégien étant plutôt fermés en ce temps-là à ce genre de direction, notons que le groupe a fait fi de ces préjugés. L’album tire son nom d’un conte populaire norvégien qui nous narre l’histoire d’un jeune garçon norvégien partant à la découverte d’un château mythique aperçu au loin. Voyez, le décor est planté ! Cette symbolique du voyage initiatique, du rêve inaccessible et de l’envoûtement du mystère traverse "Soria Moria Slott" (littéralement : le château de Soria Moria) aussi bien dans ses paroles que dans ses ambiances délicates.

Pour en revenir au parcours musical des jeunes Norvégiens, après deux démos produites, le groupe arrive à attirer l’attention du label autrichien "dénicheur de talents" Napalm Records. À la lumière des compositions de ce premier album oscillant entre des passages agressifs et sombres, typique du Black Metal, et des ambiances plus éthérées, portées par des nappes de claviers de l’ingénue Elin Øverskott (qui décédera d’une overdose d’héro en 2004) et la voix enchanteresse de Keltziva, les Norvégiens réussissent à faire capitaliser certains titres. En maniant leur Black Symphonique assez adroitement avec des touches gothiques plus ou moins prononcées, DISMAL EUPHONY nous offre de très beaux moments.

L’usage appuyé des claviers, jamais trop mièvres ni grandiloquents, le lyrisme des sections acoustiques et quelques riffs tranchants nous font fondamentalement passer de bons moments d’écoute. L’instrumentale un brin bucolique et guillerette "Alvedans" n’est pas désagréable. "Et Vintereventyr" est aussi un titre gracieux, bien équilibré avec une dynamique contrastée entre chant criard, sonorités agressives et candeur symphonique. Nous retrouvons aussi cette alternance intéressante d’ambiances au sein de "Trollbundet". L’apport de la guitare acoustique, sur ce titre notamment, potentialise aussi cet effet de conte gothique. Et je dois bien avouer que je me suis laissé embarquer dans la rêverie du long titre suivant "Ekko", qui, malgré de belles longueurs, intensifie aussi cette impression de lire une histoire et de traverser l’aventure d’Halvor (le personnage principal du conte).

L’album a été remasterisé en 2010 et, sans dévoyer trop le son originel, nous permet de profiter pleinement de cette œuvre accueillie de manière mitigée à sa sortie en 1996. Les puristes de l’époque le trouvaient bien trop mélodique et atmosphérique, malgré pourtant son originalité. "Soria Moria Slott" reste néanmoins un beau témoignage de ces premières hybridations et évolutions qui coloreront le Black Metal de plus en plus. Avec le temps, l’album est devenu un objet culte pour les amateurs de Black/Gothic Metal, et je les comprends.