Au sein de la scène du Viking Metal, la frange rude comporte peu de groupes. Si WINDIR en fait partie et paraît même en avoir délimité les contours au bon vieux temps de la fin des 90s, KAMPFAR s’en est gavé avant de plier un peu les genoux au fur et à mesure du temps, tandis que ANGANTYR est resté davantage constant et fidèle à ce son rugueux et ces ambiances haineuses. Nous pourrions aussi citer MOONSORROW, mais il nous faudrait bien disséquer sa discographie grandiose, ou bien encore les premiers albums de MORRIGAN, ou ceux encore de HELHEIM, notamment son "Av Norron Aett" de 1997. Alors, si je remets le couvert, en vous faisant plonger dans le bain glacé de l’œuvre principale du Danois Ynleborgaz, le seul maître à penser de ANGANTYR, c’est bien pour vous dévoiler un autre trésor jalousement gardé par des créatures tout droit sorties des histoires de la mythologie nordique.

"Hævn" est l’album qui amoncelle, à mon sens, le plus de qualités, d’intérêt et d’émotions de toute la discographie fiévreuse de ANGANTYR. Imaginez bien que tout du long de ses plus de soixante-dix minutes de Pagan/Black Metal, l’album va vous maîtriser les nerfs et l’âme pour un voyage épique aux confins des anciennes guerres et de la haine. De l’aveu même de son auteur, "Hævn" (= "la vengeance") est beaucoup plus agressif que les deux albums précédents. Influencée par une haine intense et personnelle que Ynleborgaz vivait à ce moment-là, les riffs hargneux, les rythmes martiaux, les vocaux acérés et acides ainsi que les atmosphères plus tendues sont le reflet de ce sentiment personnel de rage et font de ce "Hævn" l’enregistrement le plus furieux de la discographie de ANGANTYR.

Mais nous ne pouvons pas nous arrêter à cette seule analyse, car la puissance et la force de cet album résident dans l’aura obscure que développent ces incroyables leads, tout à la fois guerroyeurs et poignants, démontrant au fur et à mesure des compositions un nordicisme rugueux, dénué d’ornements ou de mélodies doucereusement païennes. En effet, ANGANTYR, et plus particulièrement avec ce "Hævn", suit une logique émotionnelle, vengeresse, dans un cercle narratif fermé. Peu d’apaisement au sein de cet album, les titres s’enchaînent et perpétuent cette tension, ce poison nécessaire de la vengeance, cette force de propulsion qui agite la colère. Vous trouverez cependant quelques lignes de violons mélancoliques pour clore les deux dernières minutes de "Tagefolket", mais qui resteront encadrées par des riffs agressifs.

Car les riffs ne sont en effet fondamentalement mus par la seule haine. Leurs éclats dévoilent également le cheminement interne de Ynleborgaz et nous laissent miroiter la noirceur de la solitude, les dessins des ombres et des cauchemars, et les scénarios de cette vengeance. Châtiment, affrontement, pensée du combat, résignation et abattement coexistent au sein des atmosphères de ce très bel "Hævn". Malgré sa durée importante et des titres tournant autour de huit-neuf minutes, il n’y a que peu de longueurs. Des compositions sortent leur tête un peu plus de l’eau que d’autres, mais toutes sont d’excellent niveau. J’admire par exemple la très puissante, émotionnellement parlant, "Danermordet", mais aussi la mystérieuse et plus épique "Et Varsel Om Dod", ou bien encore la mélancolique et nostalgique "Thulens Ord". À ce compte-là, vous avez au moins un podium dont il se faut se contrefoutre des marches.

Avec sa production claire, puissante, Ynleborgaz n’a pourtant pas vendu son âme au diable après un album furieux et bien plus Raw dans son approche, l’heureux nommé "Sejr", sorti trois ans plus tôt. Les fans, d’abord déboussolés, nostalgiques de la rugosité crue et fielleuse des deux albums précédents, en ont eu pour leur grade sitôt le disque écouté en entier. "Hævn" explore un univers épique moyenâgeux, fait de combats sanglants, d’exils forcés et de serments rompus, le tout abreuvé par la haine et la soif de vengeance. Un chef-d’œuvre qui mature toujours et encore.

Note réelle : 4,5/5.