Ce nouvel album va nous faire saigner les oreilles bien comme il faut. Sa production tranchante et claire, aux aigus riches et brillants, va vous agresser les neurones de manière malfaisante. Et c’est avec un bonheur retrouvé que le growl rauque, foncièrement malsain, de l’ours ukrainien Roman Saenko va vous labourer de ses aboiements acrimonieux. Le son de "Against All Odds" ressemble parfois à s’y méprendre à celui du chef d’œuvre "Sorrow" sorti il y a déjà deux décades, tandis que nous retrouvons les aspérités du growl capiteux de Roman Saenko, typique des derniers albums, mais foncièrement présent originellement au sein de l’autre chef d’œuvre des Ukrainiens, le ténébreux "Purity" (2003). Ce septième album clôt pourtant la trilogie entamée par les deux EP succédant à "Innermost", dont le dernier "Justice", dont vous trouverez en ces pages la chronique récente.

Osmose Productions a raison de porter l’aura noire de Saenko. Depuis peut-être les événements géopolitiques que l’on connaît des cinq-six dernières années, le sieur enchaîne les sorties (faut-il y voir un lien de causalité ?) et a réveillé de son sommeil la bête HATE FOREST qui, il faut bien le dire, manquait terriblement à tous les assoiffés de haine virile et de crudité sonore. "Against All Odds" nous offre sur un plateau d’airain sa bellicosité inextinguible en une grosse poignée de titres pour un peu plus de trente-cinq minutes de fureur. Pour la première fois, une « vraie » batterie est employée et ses blasts telluriques perpétuels ont l’affreux effet de nous fouetter en continu, tout en nous fatiguant le cerveau par cet impossible repos. Brutal, tranchant, pur et dur, le Black Metal de HATE FOREST frappe à nouveau, cette fois-ci avec un assaut constant d’agressivité et de haine. Beaucoup moins varié que les "Hour Of The Centaur" ou bien encore "Innermost" (les deux albums précédents), "Against All Odds" est une œuvre à couteaux tirés qui, malgré la discrétion de Roman, est implicitement connotée d’éléments patriotiques ("Ukrainian Thermopylae", "Mariupol"). « Moscovia delenda est » est-il écrit quelque part. La messe est dite, comprenne qui voudra.

Banni de toutes les autres plateformes numériques, HATE FOREST continue à suivre sa propre voie en se gardant bien de s’exposer inutilement, ou de dispenser à la vindicte un quelconque message politique explicite. Il est fort à parier pourtant qu’il y a plusieurs autres invités sur cet album (notamment Thurios (ndlr : un des membres fondateurs partis depuis 2005), dont on reconnaît les vociférations caractéristiques sur certains titres et qui confirme ainsi son retour dans la partie), mais Roman Saenko, comme à l’accoutumée, se garde bien de dévoiler l’identité de ses compatriotes, épaississant un peu plus encore le mystère du groupe, de ses participants, mais aussi l’agacement de ses détracteurs. Quoi qu’il en soit, l’album, s’il est volontiers plutôt très homogène, comporte, parmi toute la mitraille qu’il nous assène allègrement, des titres qui nous font lever la tête fièrement. Je pense notamment au premier titre "Werewolves" et sa gifle mordante ou au riffing plus varié de "The Reaping Hand" avec ses fameux leads qui se dressent comme des ombres inquiétantes et inattrapables.

Cependant, "Against All Odds" ne nous renverra pas aux calendes ukrainiennes des brûlots sus-cités dans le premier paragraphe de cette chronique. L’ensemble des titres est fidèle à la singularité si caractéristique de HATE FOREST avec la répétitivité des assauts guerriers, la déclinaison rituelle et en boucle de ses riffs hypnotiques et le savant dosage des growls inquiétants et des vociférations déchirées de Thurios (à n’en point douter). L’album est bon, certes, mais il ne soudoiera pas notre perversité. Court, intense, fulmineux, bien moins atmosphérique et mélancolique que ses prédécesseurs, "Against All Odds" ne m’a pas coupé la chique cette fois-ci. L’album fait son office, mais ne nous détournera pas des reliques que sont les tous premiers albums de HATE FOREST. À moins que Vladimir nous fasse une énième merde dans un futur proche et que l’ours Saenko produise sa plus puissante, brutale et géniale contre-attaque. Nous verrons bien !