Erik Gardeförs m’a toujours fait penser, de près ou de loin, à Marcus Stock, du moins dans sa manière d’explorer les territoires émouvants du Black Metal. De plus, GRIFT manie avec brio, tout autant que le projet EMPYRIUM de Marcus, les éléments acoustiques et folk. Certains EP de GRIFT sont dédiés à la folk et ne contiennent aucune trace de saturation de guitares ni de vociférations. Et puis, Erik Gardeförs, au travers de ses œuvres, reste dans un contact intime avec les traditions historiques de son pays, la célébration de cette aventure sauvage et singulière de la Suède, la terre de ses aïeux. L’emploi d’instruments traditionnels donne du poids et de l’air (j’ai envie de dire) aux paysages hérités. La nature est en effet transmissible ; sa longévité se perpétue, même si le règne du vivant se scande et se ponctue toujours par sa propre temporalité. N’avez-vous jamais pensé à ce que les roches contiennent de mémoire, à ce que les arbres savent de ceux qui, au travers des âges, les ont regardés ou touchés ?

Dans son recueil poétique "Les Chimères", Gérard de Nerval nous adresse un message puissant qui me fait écho à ce que je pense de l’œuvre de GRIFT et de la sensibilité d’Erik Gardeförs :

"Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ?
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l'univers est absent.

Respecte dans la bête un esprit agissant :
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;
Un mystère d'amour dans le métal repose ;
« Tout est sensible ! » Et tout sur ton être est puissant." (*)

Vous en penserez ce que bon vous semble, mais "Syner", son premier album, en est le parfait écho. Il pose les bases de ce que les albums suivants "Budet" et "Arvet" perpétueront avec la même beauté. Riffing sensible et émouvant, rythmiques tourmentées, impressions d’emprunter des sentes forestières en solitaire, sensation introspective de solitude, recueillement de la pensée… Ce voyage intérieur est une ode aux sens et à ce qu’ils nous confirment de notre humanité, de notre capacité à comprendre les forces externes, puissantes, qui encadrent, forment et perpétuent la vie.

J’apprécie beaucoup cet album – comme tous les autres, je le confesse – car j’aime sa nature errante, sa ballade pure et vertigineuse. La beauté de "Svältorna" est tellement saisissante, et celle de "Eremiten Esaias", dois-je vous en parler en d’autres mots plus superlatifs encore ? Les parties vocales sont aussi, à mon sens, une vraie plus-value pour contextualiser le propos de GRIFT. Le chant clair, qui apparaît notamment à la fin du titre "Undergörare", nous donne également cet autre aperçu des talents de la palette vocale d’Erik. Sa voix écorchée – qui prédomine – est tellement juste au regard de ce qu’il essaie de nous transmettre de cette mélancolie, de cette nostalgie douce et amère… Je vous laisse donc découvrir cet album sensible, si toutefois vous ne le connaissiez pas, ainsi que la discographie de l’auteur. Peut-être que vous regarderez alors avec davantage de ferveur ce que la Nature nous laisse à mirer d’elle, et ce qu’elle nous offre d’inattendu et d’indicible.

(*) Gérard De Nerval : "Vers Dorés" in "Les Chimères" (1855).