Lucas Fox, ce nom ne vous dit peut-être rien. Si vous êtes complètement passé à côté de MOTÖRHEAD, ce serait certainement le cas. En revanche, si vous êtes fans de la bande à Lemmy, vous en avez certainement entendu parlé, il fut le premier batteur du groupe et un facteur déterminant de sa création. Si je classe ce livre au niveau de MOTÖRHEAD, c’est parce que l’ombre du Snaggletooth plane sur les deux tiers de l’ouvrage ; il y est beaucoup question de Lemmy, de la formation du groupe, de ses premiers mois, de cette date fatidique à l’Hammersmith Odeon. Cependant, c’est avant tout l’autobiographie de Lucas Fox. Les mauvaises langues diront qu’il n’y a rien à en dire passé MOTÖRHEAD, pourtant il fut le témoin de son époque tout en en étant un acteur.

Lou, comme le surnommait Lemmy, est né en 1953 et fut scolarisé au Lycée Français de Londres. Dès l’âge de neuf ans, il s’intéresse à la batterie et va être plongé dans le swinging London, à l’époque où émergeaient les BEATLES, les ROLLING STONES. Ce fut l’époque de ses premiers concerts en tant que spectateurs, de rencontres aussi improbables que fabuleuses pour un jeune garçon qui se prenait cette révolution musicale de plein fouet. Cela, il nous le raconte sans fanfaronner, comme si, au final, ce n’était pas plus difficile que cela à cette époque. En revanche, il nous explique comment il a très vite appris à se débrouiller par lui-même, encouragé par une mère aimante et un père certes taciturne, mais qui ne fermait pas les portes des rêves de son fils.

Les années passent, l’adolescent connait ses premiers groupes, certains moments deviennent plus sérieux, d’un point de vue professionnel. Je pense à son rapport avec Ross Stagg, dont il contribuera à enregistrer son premier 45 tours et à lui fournir du matériel avant d’être poussé vers la sortie juste avant que Stagg ne forme les STRAPPS. Il nous confie ses rencontres, qui de fil en aiguille l’amèneront à côtoyer Lemmy quand ce dernier était encore dans HAWKWIND et que ce dernier représentait tout pour lui. Lou nous dépeint un portrait assez touchant de Lemmy, proche de ses fans et qui, à l’instar d’Amélie Nothomb, se souvenait de ce que les gens lui disaient quand ils le rencontraient et qui pouvait reprendre les conversations avec eux là où elles s’étaient arrêtées.

Et il y a aussi le rapport de Lemmy avec le speed, le fait qu’il partageait les amphétamines avec son entourage et à quel point cela finit par marquer Lucas, qui était né avec un asthme sévère et qui faillit y rester plusieurs fois enfant. Lemmy, lui, ne voyait pas l’intérêt de dormir, une véritable perte de temps, mais quand il pionçait… Deux trois anecdotes amusantes sont relayées à ce sujet, racontées avec un humour un peu pince sans rire, finalement assez britannique. Ironique, quand on sait que Lou, qui est parfaitement bilingue, a rédigé ce livre en français. Alors oui, bien entendu, Lemmy est très présent, mais il ne faut pas oublier la présence de Lou, qui relate les faits, les revit, avec beaucoup de franchise.

Parce qu’il faut savoir que Lou, c’est un sacré baratineur. Au volant de sa 4L surnommée « le Fridge » en raison d’un chauffage très défaillant, qu’il utilisait pour transporter sa batterie en limitant les risques de se faire arrêter par les flics pour contrôle, il était capable de se sortir de bon nombre de situations avec aplomb, ou de sauver la mise à Lemmy au tribunal pour que ce dernier puisse partir en tournée avec HAWKWIND aux Etats Unis. Arrêté avec du speed sur lui, Kilmister devait en effet passer pour un citoyen modèle. Imaginez le baratin que Lou a servi au juge ce jour-là pour innocenter un gars boudiné dans un costume marron bien trop petit pour lui. Fox nous raconte son amitié avec Lem (au début, un brin intéressée pour Lemmy pourrait-on supputer : Lou avait une voiture !).

Puis bien sûr, il nous raconte la genèse de MOTÖRHEAD, quand Lemmy se sentait foutu et que Lou l’encourageait à former son propre groupe, la rencontre avec Larry Wallis, les premières répétitions, les premiers concerts à un volume sonore assourdissant et le choc dans la salle face à cette musique terriblement roots et d’une violence inouïe pour l’époque. Et cette date fatidique à l’Hammersmith Odeon qui aura valu au groupe le sobriquet de « meilleur mauvais groupe du monde ». À partir de là, tout se délite et un beau jour, Lucas n’est plus dans MOTÖRHEAD. Il accuse le coup mais n’en fait pas une fatalité et il sait rebondir, de bien belle façon même si, comme une malédiction, les groupes dans lesquels il jouera seront souvent éphémères.

Le livre ne s’arrête donc pas avec le départ de Lou de MOTÖRHEAD. Lemmy reste un personnage assez important du livre, que Lucas croise souvent dans le même pub, toujours occupé au bandit manchot. Avec WARSAW PAKT, il détiendra pendant un long moment le disque enregistré le plus rapidement, en une nuit, et mis en circulation dès le lendemain. Soit la définition même de ce qu’était le Punk à cette époque, mais je vous en parlerai une autre fois, dans une chronique dédiée à ce groupe. Lucas a aussi eu une carrière de producteur, d’organisateur du festival Midem, avec quelques réussites outrancières (dont une, et pas des moindres, à faire plier le staff de James Brown).

Mais surtout, Lou raconte bien. Nous sommes limite dans la pièce, avec lui, nous sniffons la ligne blanche en sa compagnie et celle de Lem (mais comme ce dernier ne réduisait pas tous les cristaux en poudre, visiblement, c’était assez douloureux). Et il y a la ville, Londres, personnage en pleine mutation qui change à mesure que le temps passe, on sent également que les relations entre les musiciens changent comme évolue le music business. Là où tout semblait simple auparavant (et pourtant !), tout devient plus compliqué à mesure que les années se succèdent. Et il y a ce côté mal famé, dangereux, comme dans un roman de James Herbert qui est là, poisseux, à mesure que l’on pénètre dans certains quartiers ou même dans certaines ruelles.

Alors non, ce n’est pas qu’un livre sur MOTÖRHEAD même si MOTÖRHEAD est partout. C’est un livre qui nous raconte l’évolution de la musique en Angleterre dans les années 70, c’est l’histoire de deux vies, celle de Lou, bien entendu, mais également celle de Lemmy qui nous est révélée par petits bouts, de façon incomplète, mais avec suffisamment d’informations pour mieux cerner le personnage qu’il était. Merci donc à Lucas Fox pour ce livre très instructif et intéressant. Cela aurait été beau avec une préface de Lemmy, ou même de Larry Wallis. Mais plus aucun des deux n’est là pour le faire, la vie est ainsi.