La sortie de "Let There Be Nothing" aura durement éprouvé un groupe qui dans le même temps signait chez Prosthetic Records, soit un label plus important que ce que JUDICATOR avait obtenu jusque là, mais vit aussi Tony Cordisco, co-fondateur du projet avec John Yelland, mettre les bouts. Et ce changement drastique irait jusqu’au changement d’identité de Tony, qui lorsqu’il présente la nouvelle mouture de son projet ROENWOLFE, apparaît en tant que femme transgenre, répondant au prénom d’Alicia Cordisco, identité sous laquelle elle sera désignée désormais.

Si John Yelland a toujours été la grande force motrice du projet avec Alicia, cette dernière, multi-instrumentiste de son état, avait toujours été la principale compositrice de JUDICATOR ainsi que celle qui gérait le business du groupe. C’est donc à tout autre défi que le groupe est confronté, avec John prenant désormais cette charge, catapulté capitaine du navire. L’impact que cela va avoir sur la musique des natifs de l’Utah se sentait déjà dans pas mal d’aspects de "Let There Be Nothing", à savoir une approche de l’Histoire beaucoup plus diffuse, moins centrée sur un personnage. Ici, le propos a dû être recentré, et John Yelland reprend une thématique qui lui était déjà très personnelle, en inscrivant "The Majesty Of Decay" dans la continuité de "At The Expense Of Humanity" (dont le titre reparaît comme un clin d'œil pendant "The High Priestess") qui traitait de la perte de son frère, et son processus de deuil.

Un album marqué par la mort ? Quoi de plus Metal en somme ? Les Américains sont cependant malins, et sont loin de faire dans le larmoyant, et l’album est agencé comme un miroir. Les cinq premiers titres sont recentrés sur la guitare, la basse, la batterie et le chant, et n’hésitent pas à présenter un JUDICATOR plus sombre qu’à l’accoutumée (la déflagration "Daughter of Swords" soit mon titre préféré de cette première partie d’album), voire aux élans quasi Thrash ("Ursa Minor"). Et tous les titres qui évoquent plutôt des émotions négatives sur les thématiques abordées (comment on se prépare à mourir en phase terminale, comment devenir père peut être horrible au vu du monde dans lequel on projette une créature sans défense, ou encore le rapport à ses proches, la spiritualité), la seconde moitié vient revisiter les mêmes thèmes sous un jour positif. Une fois qu’on a cette clé, on comprend aisément la succession de "Ursa Minor" et "Ursa Major" (qui fut le second single). "The Majesty Of Decay" affiche la volonté de grandeur du groupe auquel la franche réussite de "Judgment", enrichie par la prestation d’Angel Wolf-Black (qui devait devenir cette année la nouvelle vocaliste d’un AFTER FOREVER temporairement reformé) vient faire écho. Assurément deux des meilleurs titres de l'album, et qui enterrent la quasi totalité de "Let There Be Nothing".

Et avec cela, c’est aussi la facette la plus progressive du Power Metal de JUDICATOR qui est valorisée. Cette seconde moitié c’est le trésor caché auquel on n’a pas accès si l’on s’arrête à la pochette (j’avoue que je l’ai trouvée particulièrement ratée, au vu des précédentes) ou si l’on ne dépasse pas les premiers titres. "The Majesty Of Decay" est de ces disques qui récompensent richement les écoutes. Le temps investi dans la musique des Ricains vous est rendu en fanfare, et c’est quasi du premier degré quand je dis ça. Car dès que "The High Priestess" se développe, à peine le refrain entêtant de "Ursa Major" terminé, nous sommes accueillis avec swing et saxophone !! Si le mariage m’a semblé un peu incongru à la première écoute, c’est une véritable bouffée d’air frais au sein d’un album primairement aride, mais où le clavier, puis les vents, puis le chant arraché puis féminin s’invitent tour à tour. Et "The Black Elk" ne fait que renforcer cette sensation, tout en assurant la continuité de l’album, avant le feu d’artifice des deux derniers titres.

C’est d’ailleurs presque une surprise, car quand arrive la fin de "Judgment" on sent tant dans les paroles que dans la musique que le personnage principal conclut son arc narratif. Et pourtant, "Metamorphosis" s’inscrit presque à part, une fresque passionnante de près de dix minutes aux leads de guitare bien sentis. Je regretterai certes une production un peu rêche où la batterie est si compressée qu’elle semble avoir été programmée (les roulements de caisse claire en sont un peu pénibles) et un jeu de guitare solo qui parfois manque encore singulièrement d’imagination et d’un déficit technique déjà remarqué par le passé. Si la musique de JUDICATOR est très rythmique et dominée par le chant, il faudrait pourtant enfin progresser de ce point de vue pour espérer boxer dans la catégorie supérieure. Les compositions de cet album sont excellentes, leur exécution un peu moins, mais cet album décisif pour l’avenir de JUDICATOR aura permis à John Yelland de prendre les commandes et de démocratiser le processus d’écriture, et l’album suivant ne fera que confirmer le potentiel artistique d’une formation qui semble arriver à maturité.

Note réelle : 3,5/5.