En France, nous avions les FORBANS, les États Unis avaient les MISFITS. Deux salles, deux ambiances comme on dit. Ok, vu comme je suis mal parti, je vais continuer sur cette lancée, hein (et peut-être donner des idées moches aux collègues de Forces Parallèles). Les deux formations sont nées à peu près à la même époque et ont sorti leur premier album la même année (après un départ manqué pour les Américains). Les premiers fantasmaient une Amérique des fifties dans leur style, les seconds tapaient dans les fifties, mais pour l’imagerie liée aux films d’horreur de cette période, une esthétique particulière. Musicalement ? L’un dit blanc, l’autre dit clairement noir et n’ont strictement rien à voir, à part une inspiration Rockabilly qui se détache çà et là.

Les MISFITS, en 1982, était une formation qui avait déjà avorté deux albums, deux faux départs dont les histoires vous seront racontées ultérieurement. Après moult changements de personnel (seuls Glenn Danzig et Jerry Only faisaient figure de membres permanents), le line-up se stabilise avec l’arrivée de Doyle Wolfgang Von Frankenstein (petit frère de Jerry Only à la ville) en 1980. Après une décision de Danzig, "12 Hits From Hell" est annulé, se transformant en l’EP "3 Hits From Hell", mais la plupart des compositions vont être récupérées, peaufinées et incluses remaniées ce qu’il faut sur le premier LP du groupe, "Walk Among Us", à la pochette rose flashy et au monstre récupéré du film "The Angry Red Planet" et son titre au classique "The Creature Walks Among Us".

Pour la petite histoire, j'ai connu les MISFITS par le biais du cinéma d'horreur, avec justement cette créature bien moche de "The Angry Red Planet" que j'avais reconnu sur la pochette. Je devais avoir douze treize ans et le look des musiciens me plaisait bien. À cette époque, en Punk, je connaissais les CLASH, les SEX PISTOLS et les RAMONES et rien ne me préparait réellement à ce que j'allais me prendre dans la tronche. J'ai dû cracher ma dernière dent de lait à la première écoute de ce disque, auquel je repense dès que je regarde un de ces vieux films qui suintaient la peur de la Guerre Froide.

Si une première version sort en 1981 sur le label de Danzig, Plan 9 Records (notez le clin d’œil à "Plan 9 From The Outer Space", film qu’il faut avoir vu une fois dans sa vie pour y croire), très peu de copies en furent pressées faute de moyens et c’est le label Slash qui le récupèrera en 1982. La légende MISFITS pouvait enfin être lancée de façon plus conséquente que jusqu’alors. On notera le look des musiciens, entre coiffure Devilock pour le chanteur et Jerry Only et un maquillage bien macabre pour d’autres et le fait que le LP ne dure… même pas 25 minutes pour treize titres. Que ceux qui prennent peur se rassurent, nous sommes loin d’un proto Grind.

Non, les MISFITS, c’est une formule très simple, née des RAMONES, on va droit au but sans tergiverser. C’est direct, les refrains sont accrocheurs et on notera également quelques incursions Rockabilly dans les sonorités et des passages plus mélodiques, comme l’excellent "Skulls" qui pourrait servir de mètre étalon pour toute la vague Punk Californien. Sauf que DANZIG nous vient du New Jersey. Et qu’il n’aura aucune incidence musicale sur BON JOVI non plus. Six morceaux sont tirés des sessions de "12 Hits From Hell" et seront donc retravaillées pour l’occasion, un sera extrait des sessions de ce qui deviendra le "Evilive" de 1987 et les six derniers sont des compositions originales.

Commençons du coup par "Mommy, Can I Go Out And Kill Tonight", capté en concert. C’est joué très rapidement, le chant est très saccadé, quasi éructé et surtout, ça clôt la première face du disque, après un "Hatebreeders" qui, à côté, parait presque Poppy. Les fans noteront que l’on peut entendre les premières mesures de "London Dungeon" à la fin. Et pour palier toute question réponse « est-ce un hommage au "Unleashed In The East" de JUDAS PRIEST où l’on peut entendre les premières mesures de "Running Wild" à la fin de "Exciter", je répondrai directement que je n’en sais rien et que j’avoue que pour le coup, je m’en tamponne gentiment l’oignon.

Les originaux sont mine de rien assez variés. Ça commence avec un "20 Eyes" qui déboule à cent à l’heure, bien mis en valeur par le chant possédé de Glenn Danzig, véritable maître de cérémonie qui nous convie dans un parc d’attraction mortel le long des treize pistes proposées. C’est percutant, ça cogne fort, c’est très primaire et ça fait le job. Les MISFITS, c’est la vision d’un Punk radical agrémenté de chœurs qui sonnent plus UK dans l’esprit, façon hooligans dans un stade ("Braineaters", "Hatebreeders"), mais l’aspect morbide et angoissant développé par les musiciens place leur style sur des rails qui leur sont propres.

Les rythmiques se font parfois plus groovy, on imaginerait presque Jerry Only se démener sur une contrebasse tant cela sent l’inspiration Rockabilly, puis l’instant d’après nous sommes secoué comme un cocotier. On remarquera aussi quelques accointances avec le Hardcore (qui lui sera bien plus présent sur l’opus suivant) avec "Violent World" au refrain radical. Mais toujours, nous avons ce côté bien glauque qui ressort, ces hommages incessants au cinéma d’horreur et une interprétation toujours convaincante même si certains n’entendront ici qu’un bordel sonore.

Les titres remaniés (les différences ne sont pas si subtiles que ça : les chansons ont gagné en relief grâce à une production à la hauteur des ambitions de Danzig et elles se veulent bien plus percutantes) s’immiscent parfaitement dans ce nouveau canevas sonore, à l’image de "Skulls", un de mes chouchous, qui présente une approche plus mélodique et qui nous balance un des refrains d’une simplicité exemplaire, d’autant plus qu’il est excellent car fédérateur. Il représente assez bien cette capacité que possède le groupe de diversifier son offre et se rendre accessible, tout en restant malsain au possible.

Ce premier véritable album est monstrueux. Il est puissant, rageur, ravageur. Il n’est pas dénué de quelques accalmies, mais elles ne font qu’annoncer une tempête à venir. Les puristes diront que le son est trop clean, que les titres de "Static Age" et de ce qui aurait dû devenir "12 Hits From Hell", crus comme ce n’est pas permis, sonnent de façon plus authentique. Cependant, le son épuré fera la signature sonore de ce premier album qui deviendra bien vite une référence de la vague Punk Hardcore qui allait balayer les États Unis lors de la première moitié des années 80. Axé sur l’horreur et non pas le social, il ne possède pas le discours d’un DISCHARGE ou d’un BLACK FLAG, mais il n’est pas à négliger pour autant : "Walk Among Us" est un classique du genre.En 1982, les FORBANS allaient sévir pour la seconde fois, les MISFITS lâchaient officiellement leur première déflagration. Autre salle, autre ambiance.