SORHIN est l’archétype même des génies maudits. Acteur bien connu de ces années-là, le duo originel suédois (Nattfursth et Eparygon) n’a jamais vraiment pu profiter d’une lumière assez viable pour se placer sur un trône qu’ils méritaient pourtant. Cette mise en lueur aimerai-je dire les aurait inévitablement fait convoler avec les meilleurs d’entre-tous de l’époque. Faut-il y voir un coup du sort, un jeu de malchance ? Après deux albums assez exceptionnels, "I Det Glimrande Mörkrets Djup" et "Apokalypsens Ängel" sorti en 1999, et pas mal de matos au tout début des années 2000 déjà en banque pour un troisième LP (qui devait s’appeler "Hädanfärd" (= "deuil" en vieux suédois)) mais qui n’a pas vu le jour pour l’heure, ainsi que des soubresauts semblant avoir réanimé le groupe en 2016, SORHIN s’est éteint par son propre feu sans doute au pire des moments pour lui.

Nattfursth et Eparygon avaient tous deux pour eux de sacrés tempéraments, et les coups bas de l’un et/ou les différences de point de vue de l’autre ont été destructrices pour cette alliance pourtant exceptionnelle dont le Black Metal aurait pu continuer à profiter amplement. Ces dissensions ont atteint leur acmé notamment lors de l’enregistrement de "Apokalypsens Ängel". Nattfursth a toujours juré pour un son Raw et peu trafiqué tandis qu’Eparygon voyait dans le travail d’arrangements et le processus d’enregistrement au alors tout jeune studio Abyss des frères Tägtgren, un aboutissement et un supplément d’âme possible pour ce nouvel album. Alors pour obtenir ce qu’il voulait Nattfursth profitait lorsqu’il était seul ou que Tägtgren avait le dos tourné pour régler subtilement certains niveaux de la table de mixage. Eparygon et Tägtgren pensaient alors que le matériel était défectueux tant le son changeait…

Ces méthodes peu orthodoxes ont pourtant profité de mon point de vue au son personnel de "Apokalypsens Ängel". Avec le recul, force est de constater que nombre d’albums sortis des studios Abyss ont eu exactement le même son et ont perdu de fait un peu de leur singularité. Pour revenir à nos moutons, parlons de ce premier album de SORHIN si vous le voulez bien. Je l’ai choisi pour sa densité mélodique exceptionnelle et son aura maléfique pure qu’il conserve. Dans mon esprit surgit à son écoute trois autres albums dont ce "I Det Glimrande Mörkrets Djup" semble être l’exact mélange : le "Welcome My Last Chapter" de VINTERLAND pour sa vitalité mélodique et son côté sépulcral bien prononcé, le "Slaughtersun" de DAWN pour sa virtuosité, son avalanche de riffs dentelés et sa richesse émotionnelle mais aussi le "For Kunsten Mea Vi Evig Vike" de KVIST pour sa rugosité et sa crudité de fond. Je pourrai aussi rajouter de temps à autre la folie et le carnage d’un "Dead As Dreams" de WEAKLING… et puis un zeste aussi du "The Secrets Of The Black Arts" de DARK FUNERAL… Enfin, vous voyez un peu le genre j’imagine.

Non pas que je vous cherche à vous appâter car plus aucun piège ne peut fonctionner à vos oreilles aguerries, mais ce "I Det Glimrande Mörkrets Djup" est un cru exceptionnel et il va vous vampiriser. Écoutez ses titres superbes tels que "Naer Helvetet Kalla" avec ses leads intemporels à la DISSECTION, "Svartvintras" avec son mid-tempo frénétique, "Tills Doeden Er Alla Tar" et sa recette typiquement suédoise des 90s, "Еt Fanders Med Ljusets Skapelser", "I Skuggan Af Nattens Herre" et "I Det Glimrande Mörkrets Djup" (le titre éponyme et de cloture de l’album) ont cette ténébrosité émotionnelle forte grâce à leur impeccabilité technique, mélodique et d’ambiance. Malgré quelques longueurs et un ou deux titres plus faibles, ce premier album est un cadeau remonté des enfers.

Si la carrière de ce groupe s’est avérée avortée, ce duo infernal n’a pourtant jamais confirmé la fin de SORHIN laissant un secret espoir encore vivoter. Si Eparygon n’a jamais trop refait de musique, nous avons le plaisir de retrouver Nattfursth au sein de ALFAHANNE pour quelques vocalises bien senties. Pas de quoi raviver la flamme de SORHIN mais sait-on jamais. L’histoire – un peu comme le SACRAMENTUM actuel – va peut-être produire un nouveau chapitre. Dans tous les cas, "I Det Glimrande Mörkrets Djup" est un immense oublié de l’histoire du Black Metal et c’est avec un plaisir non-dissimulé que je vous enjoins à le découvrir ou le redécouvrir passionnément.

Note réelle : 4,5/5.