Nous ne sommes pas passés loin de la fin de PARAGON, puisque selon le bassiste Jan Bünning le groupe s'est retrouvé au bord de l'implosion avant d'aborder la conception de ce treizième album. La mort d'un groupe de Heavy Metal de seconde zone pourrait passer comme un aléa de l'existence, un impondérable aux conséquences mineures sur notre quotidien. C'est vrai, tout comme il est vrai que, depuis sa formation en 1990, le groupe allemand transporte avec lui une certaine idée du Heavy Metal, que l'on peut qualifier de traditionnaliste ou de conservatrice, selon que l'on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide. Néanmoins, apprendre la fin de PARAGON reviendrait à apprendre l'extinction des feux d'un phare en bord de mer, remplacé par le guidage par GPS. La formation d'Andreas Babuschkin, tant par son inébranlable passion que par sa capacité à proposer des albums souvent réussis, est à l'image d'un RAGE ou d'un GRAVE DIGGER un repère, un refuge. La fin de PARAGON, c'est la fin de l'innocence.

Fort heureusement, nous n'en sommes pas encore là, et après moult atermoiements liés notamment à la mise sous cloche des activités artistiques au début de la décennie, le groupe accouche finalement de ce nouvel album dont la gestation a commencé dès 2019 par l'écriture commune de nouveaux morceaux par le bassiste précité et le guitariste et membre fondateur Martin Christian. Épaulé par un nouveau batteur, Jason Wöbcke, le groupe a fait appel à son ami et collaborateur de longue date Piet Sielck (IRON SAVIOR) pour la mise en boîte de cet album qui se fait légèrement plus mélodique et versatile que ses réalisations les plus récentes, revenant ainsi à des intonations proches de ses albums publiés dans le courant des années 2000.

"Fighting The Fire" constitue une mise en bouche classique, à l'exception d'une mélodie très accrocheuse qui, sur les refrains, vient soutenir la voix papier de verre de Buschi. Nous sommes ici entre h
Heavy et Speed Metal, et l'album n'est pas avare en titres très rapides, à l'image de "MarioNET", qui voit PARAGON aborder le sujet de la multiplication des théories du complot sur un rythme frénétique, voyant le groupe proposer un des morceaux les plus rapides et mordants de sa discographie. Il y a du ACCEPT bien sûr, ici et là, sur ces sonorités heavy tranchantes et explosives qui constituent l'essentiel de ce nouvel album. "Slenderman", qui évoque cette créature mythique née sur les réseaux. Titre mid-tempo, rythmé par une double grosse caisse, ce morceau propose un riff furieux ainsi qu'une section de guitares solo audacieuse voyant les talents de Martin Christian et Jan Bertram s'entrecroiser dans un duel dont ils sortent tous les deux vainqueurs.

C'est cette théâtralité naturelle qui donne une bonne part de sa saveur à la musique de PARAGON. Nous la retrouvons sur l'épique "Batallions", un des "hymnes" de l'album, dont les guitares galopantes sont coiffées d'une mélodie efficace et sont accompagnées d'un refrain évoquant la fierté de ces guerriers qui se rendent au combat, dans une excitation et une confiance trouvant un écho mortifère sur le champ de bataille. Ce morceau est taillé pour le live, bien plus lumineux que "Beyond The Horizon", lourd et lent, qui voit le groupe saluer ses influences telles que CANDLEMASS ou BLACK SABBATH. Le solo, très mélancolique, donne pour sa part au morceau un surprenant petit côté western. Un des meilleurs morceaux de cet album bariolé, qui voit le groupe briller également sur "The Haunted House", doté d'une introduction à rallonge et d'une partie de guitare lead exceptionnelle, qui succède à un des refrains les plus percutants de ce "Metalation".

Toutes ces tergiversations nous emmènent jusqu'au morceau-titre, longue pièce épique somme toute classique tant dans la construction que dans l'interprétation, exception faite d'un surprenant break acoustique qui précède le solo. Autre surprise, "My Asylum", une power-ballad traitant du sujet de la dépression, portée par une sensibilité exaltée par le charisme naturel du groupe, qui n'hésite pas une nouvelle fois à marier sonorités électriques et acoustiques pour un résultat très savoureux. L'album s'achève sur une nouvelle version du morceau "Hellgore", initialement publié sur l'album "Screenslaves", un enregistrement dont le groupe n'était pas satisfait. Voici le morceau porté ici par un son plus massif qui lui rend justice, et confirme son statut de "classique", notamment en concert où il fait systématiquement mouche.

Perdre PARAGON n'aurait pas été un drame national, non. Mais une mise en retraite anticipée de ces méritants vétérans de la scène Heavy Metal allemande nous aurait privés d'un album musculeux et mélodique à la fois, subtil malgré ses inclinations très traditionnelles, qui permet au groupe de rester sur une belle série d'albums réussis. Si l'audace de "Hell Beyond Hell" nous manque un peu, son absence est compensée par un côté old-school qui permet au groupe de renouer avec ses amours de jeunesse. Le résultat est, en tout cas, digne de la carrure de ce grand nom du Heavy germanique.

3,5/5, arrondi à 4 pour l'abnégation.