L’histoire d’IRON MAIDEN est liée à celle de Steve Harris, gamin de Leytonstone, dont la première inspiration fut de devenir footballeur professionnel, allant jusqu’à s’entraîner avec West Ham, son club de cœur. Mais ça, c'était avant de se découvrir un attrait pour le Rock (et le fait qu’on puisse boire plus de bière en étant musicien que sportif de haut niveau). Manquant de place chez lui pour installer un kit de batterie, il va se mettre à la basse, qu’il va apprendre de façon autodidacte. Il va ensuite suivre le parcours classique des petits groupes (dont un qui s’appelle SMILER et où il côtoiera deux membres d’une des premières moutures d’IRON MAIDEN, qu’il créera le jour de Noël 1975. Grand lecteur, Harris puise son inspiration dans les romans fantastiques qu’il dévore littéralement.

Le groupe va connaître de nombreux changements de line-up et connaîtra un semblant de stabilité quand Dave Murray et Paul Di’Anno rejoindront les rangs. Aujourd’hui, seuls Murray et Harris auront joué sur chaque album d’IRON MAIDEN. Cependant, difficile de se faire remarquer quand on joue du Hard Rock en pleine déferlante Punk et la formation attendra fin 1978 pour enregistrer une première démo en studio (200£ pour jouer un 31 décembre, date creuse pour les studios d’enregistrement). Quatre morceaux seront gravés ce jour-là : "Iron Maiden", "Invasion", "Prowler" et "Strange World". À partir de là, la machine va se mettre en branle.

Y allant au culot, Harris et Murray vont présenter la démo à Neal Kay, un DJ qui bossait dans un club spécialisé dans le Hard Rock/Heavy Metal et qui sera une figure importante dans le développement de la New Wave Of British Heavy Metal. Le club ? The Bandwagon Soundhouse, lieu où l’on pouvait également croiser pas mal de journalistes de Melody Maker ou de Sounds, Kerrang! N’existant pas encore à ce moment. La démo tournait fréquemment et "Prowler" s’avéra être très populaire, trustant la première place des charts du Soundhouse. Et cela va également taper dans l’oreille d’un certain Rod Smallwood qui deviendra rapidement le manager du groupe et qui leur obtiendra un deal avec EMI.

Mais avant de signer, le groupe va presser cinq mille exemplaires de sa démo sur son propre label (Rock Hard), baptisé "The Soundhouse Tapes" – parce que les musiciens savent ce qu’ils doivent à Kay – et amputé de "Strange World" dont le mix ne leur convenait pas. Ces cinq mille exemplaires vont vite partir et quand Smallwood leur suggérera d’en represser, Harris refusera, prétextant vouloir faire les choses bien avec EMI. Le reste, comme on dit, appartient à l’histoire.

Mais que vaut cette démo exactement ? Déjà, le son n’est pas si dégueulasse que cela. Il pourrait être mieux, il crache un peu, se veut plutôt épais, mais un détail frappe d’entrée de jeu : la basse de Steve Harris n’est pas mixée en avant. Certains persifleurs diront qu’elle est à sa place, c’est-à-dire en soutien rythmique, qu’elle n’empiète pas sur les guitares. De fait, si l’on reconnait le riffing typique du groupe, on pourrait croire qu’il s’agit d’une reprise un peu garage. Le style se veut également plus Rock N’Roll. La batterie est plus groovy, mais les baguettes sont tenues par Doug Sampson et non pas Clive Burr, dont le jeu correspondra mieux au groupe sur le premier album.

Le style est donc légèrement différent, moins fluide, plus abrupt au niveau des guitares. Si seul Dave Murray est crédité, il semblerait pourtant qu’il ait été secondé par un certain Paul Cairns. Cependant, nous ne retrouvons pas cette aisance qu’il aura en compagnie de Dennis Stratton dans un premier temps, puis avec Adrian Smith plus tard. Si nous savons Harris fan de DEEP PURPLE et de GENESIS, c’est plutôt du côté d’un UFO plus obscur qu’il faudrait chercher une influence nette. L’aspect Heavy Rock donnera à tort une connotation Punk à l’ensemble, que l’on ne peut pas non plus tout à fait associer à Di’Anno ici. Il est certes hors normes, mais il s’en tient au cahier des charges, partant par instants un peu en vrille au niveau de la justesse, mais il n’en fait pas des caisses, même s’il dégage déjà un charisme un peu particulier, s’articulant autour de son animalité.

Et effectivement, "Prowler" tire son épingle du jeu. On retrouve là parfaitement la touche angoissante qu’Harris distillait dans ses premières compositions, quand il s’inspirait de ses lectures fantastiques et quand il pouvait compter sur Di’Anno pour effrayer les vieilles dans une version plus trash de Benny Hill. Mais là encore, c’est Clive Burr qui tirera ce morceau vers le haut sur album, proposant une assise rythmique plus solide, plus puissante. Son style sera un des éléments moteurs du renouveau d’IRON MAIDEN quand il s’agira de mettre en boîte le premier LP d’une longue série. Avec sa frappe lourde, ses roulements de toms, il allait apporter de quoi nourrir les ambitions de Steve Harris.

Quant à "Invasion", il parait avec le recul difficile de penser qu’il s’agisse bel et bien d’un titre d’IRON MAIDEN. Si les deux autres titres présentent aussi une inspiration typique des années ’70, celui-ci les transpire littéralement, jusque dans ses chœurs que l’on n’attendait pas et qui pourtant sont bel et bien présents. Là encore le résultat aurait pu être tout autre avec un batteur moins axé sur le swing que sur l’efficacité brute. Autant nous comprenons que nous sommes aux balbutiements d’un renouveau Heavy Metal, autant le titre se veut trop décousu pour être pleinement efficace.

Si les structures sont déjà là, les morceaux manquent toutefois encore d’un peu de jus, ou d'un contexte plus professionnel pour sonner mieux. Mais l’avantage de ce "Soundhouse Tapes", c’est de présenter à l’Angleterre quel est l’avenir du Heavy Metal, avec ces titres agressifs, lourds, poussés par un chanteur qui ne s’embarrasse pas de manières, qui y va franco. Aussi, là, la note n’est qu’accessoire. Bien entendu que c’est culte, mais ce n’est pas non plus excellent. Ce que l’on doit retenir, c’est ce qui avait frappé Neal Kay et Rod Smallwood à l’époque : ce potentiel immense et perceptible malgré les maladresses, ainsi qu’une originalité qui demandait à être confirmée.

Encore une fois, le reste appartient à l’histoire. Les cinq mille exemplaires ont donc été écoulés très rapidement. IRON MAIDEN devenait l’un des groupes les plus attendus en cette fin de décennie qui en appelait une nouvelle et avec elle, un renouveau des genres. Le groupe n’a pas fait son buzz sur le net, il l’a fait dans un club branché Metal, face à un parterre de kids en quête de nouvelles sensations fortes. Sa renommée, il l’a méritée. Sa notoriété avant même la sortie du premier album aussi. Et quand Derek Riggs allait être associé à eux, cela allait être l’apothéose avec l’avènement d’Eddie. Les prémices de cette mythologie sont là, gravés sur ce "Soundhouse Tapes" devenu depuis lors un des collectors les plus prisés de l’institution britannique.