La Chute de Gondolin est un récit fondateur de l'œuvre de Tolkien. Pensée pendant la rude bataille de tranchées de la Grande Guerre, son message symbolique est tout aussi important que son contenu. Gondolin c'est la cité cachée, le dernier vestige de la toute puissance d'un monde amené à disparaître. La Norvège, couverte de forêts et bordée de fjords résiste autant que possible à une humanité qui détruit son environnement. Et cette beauté qui semble inaltérable, intouchable presque, et les paysages qu'elle dessine, voilà ce qui depuis toujours fascine le géant fondateur de BORKNAGAR.

Si "Fall" a mis plus de temps que n'importe quel album de BORKNAGAR pour voir le jour, il a pris le temps qu'il fallait pour délivrer un successeur à la hauteur de "True North". Il faut le rappeler, l'album de 2019 fut une réussite pas du tout évidente sur le papier. Avec la démission de Jens F. Ryland, fidèle depuis la fin des années 90 et surtout celle de Vintersorg, le BORKNAGAR que l'on connaissait depuis le référentiel "Empiricism" disparaissait quelque peu. Mais ce qu'il en est ressorti, c'est un groupe encore plus sûr de ses ambitions, avec un Simen Hestnæs qui reprend son rôle central de "The Archaic Course", et un duo vocal redoutable avec son complice Lars Nedland, dont le SOLEFALD se montre bien trop discret désormais.

"Fall" assure la continuité de "True North" purement et simplement. Sans le supplanter, mais au moins en lui tenant le collet. Ayant le bon goût d'opter pour un disque compact, blindé de mélodies accrocheuses, articulé autour d'une équipe de songwriters qui fait ses preuves (Øystein pour le plus gros, Vortex ("Moon") et Lazare avec deux compos), "Fall" dépeint une nouvelle fois les paysages nordiques et les transcrit en musique avec sa propre sensibilité, comme "Nordic Anthem" l'affirme avec foi. Le mélange d'atmosphères froides (ou plutôt fraîches), de guitares aux détails qu'on découvre à chaque écoute (et gratifiées d'une implication plus importante du dernier arrivé Jostein Thomassen qui ne se contente plus des soli), de mélodies enchanteresses et impérieuses (particulièrement celles de Simen auxquelles j'ai toujours été plus sensible) fonctionne du tonnerre, et ce même si je trouve que "Fall" fléchit en bout de course, avec "The Wild Lingers" qui peine à nous garder, la longueur de "Northward" s'avérant quasi rédhibitoire à ce stade.

Mais pour le reste, grands Dieux (nordiques), c'est un carton plein. Le meilleur titre de l'album est signé par Vortex, "Moon" alterne de la meilleure façon les tempi, domine avec le chant clair de nos deux loustics et fait regretter une partition congrue de l'ex bassiste-chanteur de DIMMU BORGIR, mais la qualité du titre amène à s'en contenter (un peu comme "Skyfall" sur le dernier HELLOWEEN). "Summits" déroule tout le savoir-faire des Norvégiens, avec un chant black plus que convaincant (Vortex ne peut pas prétendre dans ce domaine égaler Vintersorg, et encore moins Garm). "Stars Ablaze" fantomatique et débordant d'ampleur, nous aide à entrevoir les vertigineux paysages norvégiens, un titre qui aurait pu sans problème figurer sur "Urd". "Nordic Anthem", titre le plus proche de ce que les formations modernes rapprochent du Folk Viking (on pense à MYRKUR parfois ou encore FALKENBACH) est une parfaite réussite. Je ne vais pas tous les faire vous avez compris l'idée.

Je pense que BORKNAGAR gagnera encore plus à l'avenir à partager encore plus l'écriture, le style de Lazare et Vortex venant habilement contrebalancer celui plus contemplatif d'Øystein. Mais aussi, sur un tout autre plan, à opter pour un mixeur différent. Car la production, excellente de détails au demeurant, me pose un problème. Jens Bogren a apposé sa patte, et si la personnalité du groupe aide à le distinguer, je commence sérieusement à en avoir assez des productions policées et génériques. Je veux que BORKNAGAR me propose une œuvre unique en son genre, pas qu'il sonne comme le dernier AMORPHIS. Reste que malgré ces reproches, "Fall" est un album important de ce début 2024.