Comment tenter de décrire avec (nos bien pauvres) mots l’univers musical de ces zinzins de l’espace constituant l’Ovni THANK YOU SCIENTIST ? Le challenge semble alors aussi épais que d’expliquer de nos jours en quoi pouvait consister le générique de "Chapi Chapo" à un gosse (maintenant on dit pré-ado stp !) de douze piges qui est né avec une console de jeux dans les mains !

Comment retranscrire en effet le plus fidèlement possible cette signature artistique à l’alchimie hautement improbable mise en œuvre maintenant depuis plus de dix ans par ces (très talentueux) hurluberlus originaires du New Jersey, menés par un échalas binoclard (Salvatore Marrano) dont l’organe vocal flirte de manière hallucinante avec les résonances d’un Michael Jackson converti au Jazz et par un guitariste Vigieriste, padawan assumé de Ron "Bumblefoot" Thal aux soli tant imprévisibles qu’inimitables (Tom Monda) ?

En première intention, THANK YOU SCIENTIST nourrit le projet un peu fou de concilier l’inconciliable : Le swing comme les variations chiadées d’un Jazz Fusion débridé, des lignes rythmiques aussi tapageuses que rugueuses dignes d’un Metal Prog’ revendiqué sans oublier le groove cuivré d’une Soul funkisante bellement déhanchée ! Et le pari semble remporté pour cette formation de facto proprement inclassable mais que l’esprit riffo-bouillonnant m’autorise à afficher aux côtés des combos les plus exotiques sur NIME sans me prendre une volée de cannettes de bières en pleine poire. Ayant débuté cette jolie bousculade avec le surprenant EP "The Perils Of Time Travel" bazardé en 2011, suivi du magistralement galactique "Maps Of Non Existent Places" (2014) puis du tentaculo-brillantissime "Stranger Heads Prevail" (2016) les Américains, tout en restant foutrement inventifs, chargent un chouïa la mule avec un double album peut-être trop ambitieux ("Terraformer" en 2019) cumulant un effet de surprise quelque peu érodé à une légère surcharge pondérale susceptibles de fatiguer les oreilles les plus bienveillantes : une discographie dont les kros respectives sont d'ores et déjà disponibles en libre service sur ton webzine préféré of course !

Confronté aux péripéties virussantes d’une Humanité qui ne parvient pas à pourrir le groove d’un ennemi aussi microscopique alors qu’elle provoque l’extinction des baleines comme des abeilles (comme semble si bien l’illustrer une pochette déjanto-cartoonesque) ainsi qu’au départ annoncé du batteur Joe Fadem devenu Faye Fadem et voguant vers d’autres aventures musicales (*) en suivant probablement le chemin assumé de son changement de genre comme d’identité, THANK YOU SCIENTIST accouche volontairement d’un format court, mais toujours coloré, pour clore ce chapitre. C’est donc la formule allégée, à l’opposé d’un "Terraformer" qui flirtait avec les 1h30, que nous sert le septet avec ce "Plague Accommodations" paru en novembre 2021 et armé de quatre titres pour vingt petites minutes d’exploration métallique bariolée !

La cavalcade instrumentale reste reine chez les Américains qui nous inondent ainsi de ce qu’il convient d’appeler un Metal-jazzy-groovy aux relents bellement cuivrés, dans un style ultra carré, méga-rythmé et totalement imprévisible (quand je parlais d’un vocabulaire limité…). Ce courant trépidant de feeling et parcouru de séquences ouvertement bourrines est enjolivé par la voix unique d’un Marrano toujours en pleine possession de ses moyens dont l’organe vocal (une fois qu’on a digéré l’aspect King of Pop) sait être tant caressant qu’accrocheur.

Aussi, désolé pour les allergiques du track by track mais avec quatre titres dont un court instrumental, on ne va pas se perdre dans les allées du supermarché uniquement pour faire plaiz au vigile !

La Chaleur et le rythme : C’est la première impression qui émerge du sautillant instrumental "Gigglebutton" qui ouvre magistralement les hostilités. Les Américains y servent un jeu nerveux et punchy à ravir où les cuivres cèdent progressivement la place à un Jazz Fusion bondissant. THANK YOU SCIENTIST lance donc le bouzin avec une jolie claque laissant sa trace rouge sur la joue d’un auditeur ahuri mais heureux de les retrouver en pleine forme.

Le groove et l’art du crescendo : Le chant suave de Marrano sur "Creature Comfort" enrobe magistralement un titre en pente douce, bientôt rejoint par une ligne rythmique piquante à ravir dont Monda a le secret. L’escalade s’accélère en entrelaçant une section cuivre tournoyante à une guitare jouant aux limites du dissonant… sur un fond basse-batterie proprement impérial.

Le muscle et l’accélération. Que dire des deux dernières pistes ("Soul Diver" & "Plague Accommodations") si ce n’est qu’en dehors d’une exécution technique irréprochable, elles présentent néanmoins certaines similitudes un chouïa troublantes : une guitare clairement en avant qui donne un ton global Rock couillu très appuyé, des sprints imprévus où la double grosse caisse de miss Fadem fait des merveilles, un solo (violon puis guitare) tant piquant que zigzaguant… Sans être des clones, loin s’en faut pour un groupe qui trouve sa raison d’être dans une originalité qui est sa marque de fabrique, ces deux titres s’alignent quand même en matière de structures et d’ambiances. THANK YOU SCIENTIST y démontre sa maîtrise absolue du sujet, en y marquant une dominante plutôt musclée (je n’ai pas dit thrashy) mais dont la juxtaposition laisse à penser qu’il s’agirait presque d’un seul morceau coupé en deux pour des raisons liées au nombre syndical de pistes sur la galette… ou alors d’un ordonnancement qu’il aurait peut-être fallu revoir à la dimension d’un EP à la durée limitée. Je laisse aux fans absolus le soins de trancher…

Bigarré et déjanté comme il faut dans la plus pure tradition qu’a initiée la formation américaine, "Plague Accommodations" reste attrayant sous de nombreux aspects. On y retrouve toute la folie technico-ordonnée dont ont su faire preuve ces doux-dingues depuis leur premier-né. L’EP laisse néanmoins un arrière-goût de "ça aurait pu être mieux" avec seulement vingt petites minutes d’extase qui passent décidément trop vite et des titres à s’écouter possiblement dans le désordre pour mieux les apprécier. Si l’objectif était d’hameçonner en créant un sentiment de frustration, c’est gagné ! J’attends avec une belle impatience, et je ne pense pas être le seul, leur prochain opus studio...

Retirant dans un immonde bruit de succion mon étoile de ninja Shuriken de ce qui pourrait figurer la tête de la créature verdâtre et flasque qui gît à mes pieds, je me repose quelques instants en contemplant le chant de bataille noyé dans une boue verte étrangement fluorescente. On a mis une belle raclée à ces vermines de l’Espace, mais pour combien de temps ? Comme le veut la tradition, je laisse une carte marqué d’un victorieux 3/5 pour ce "Plague Accommodations" qui nous encourage dans le combat contre l’ennemi spacio-bactérien… Pourvu que le prochain soit plus long !

- pour l’ouverture classieuse : "Gigglebutton",
- pour le groove et le sens de l’escalade : "Creature Comfort",
- pour le rythme : "Soul Diver".

(*)"Trust Fund Ozu".