Je sais ce que doivent penser certains lecteurs canadiens en me lisant :

« Pfff ce Canard nous bassine avec tout un tas de groupes de Thrash en bois, c’est soi-disant un fan de SLAYER et il a même pas chroniqué le "Strappado" de SLAUGHTER, tabarnak ! »

Pourquoi certains canadiens bucherons diraient-ils cela ? Because y a une rumeur qui court comme quoi cet album serait le "Reign In Blood" du Canada. Gros plan, analyse et conjectures qui n’intéressent (presque) personne. On y va. Allez hop, on se motive !

…

Vu que j’ai pris le temps de vous disséquer du EXCITER et tout un tas d’autres groupes plus ou moins périphériques au Thrash, il n’était pas très cohérent de ma part de faire l’impasse sur SLAUGHTER, puis vous tournerez à gauche à la prochaine intersection. Non pas cette gauche-là, l’autre gauche. D’ailleurs, ça fait un petit moment que j’ai ce "Strappado" sous le coude (1) et que je tournicote autour, sans me décider à me sortir les palmes du fion. La raison est simple : je ne suis pas d’accord avec la rumeur évoquée et en plus, je n’aime pas beaucoup l’album en question. Soit deux justifications pour y aller en marche arrière, clignotant à droite et on regarde dans l’angle mort (ok, j’arrête).

1987, millésime Thrash superbe. Une récolte abondante, juteuse, gourmande et des conditions de vendange exceptionnelles. A l’instar du "Reign In Blood" incriminé, SLAUGHTER partage ce gout pour la violence insensée, une exagération naturelle et une certaine idée du chaos... avec un an de retard. Mais si SLAYER a su faire preuve d’une intransigeance absolue – avant tout le monde (réécoutez "Piece By Piece" ou "Reborn" par exemple) – SLAUGHTER se contente de bourriner sauvagement. De fait, "Reign In Blood" est un scalpel qui glisse sous votre peau et ce bon vieux "Strappado" a quant à lui des allures de coup de boule frontal. Cela n’empêche pas SLAUGHTER de déployer par à-coups une violence à tomber de la chaise (comme sur "One Foot" plat mais d’une sauvagerie fascinante) qui confine souvent au défouloir brut et méchant. Sans doute toute la différence entre les deux mondes : alors que SLAYER a su placer des riffs mythiques et une ambiance terrifiante sur son "Reign In Blood" (au point d’en faire un album culte de notre musique), SLAUGHTER thrashe et persévère, balance les riffs à l’aveugle pour des compositions parfois ineptes mais toujours honnêtes, pour un album presque pas rasoir mais en aucun cas du calibre de son « soi-disant » grand frère américain. Aussi je décrète la rumeur « Strappado, Reign In Blood du Canada » comme indigne de la puissance de SLAYER et à 47 coudées franches en terme de talent. Paragraphe suivant.

Puis, il y a ce que je n’aime pas sur ce "Strappado" : les riffs qui manquent de tranchant et les compositions sans relief. Je dirais simplement que SLAYER a eu la présence d’esprit d’ouvrir les hostilités avec "Angel Of Death" et de conclure avec "Raining Blood". Que dire de plus ? Que non seulement, les deux formations ne jouent pas dans la même catégorie, mais que les Canadiens terminent leur album par un pathétique "Tales Of The Macabre" qui fait « plouf ».

Reste ce Thrash forcé, intransigeant, brave et totalitaire qui sait par intermittence se montrer « magnifiquement implacable » comme sur ce "Nocturnal Hell", tout en mid tempo sur lit de riff dangereux. Car, oui, néanmoins SLAUGHTER touche quelque chose. Une limite, un extrême, un fantasme : celui d’un Thrash si malsain, si opaque qu’il en devient presque pédagogique pour comprendre ce que le Black et le Death ont puisé dans le Thrash pour se construire. Quand on évoque ce point historique précis, certains feront un lien avec BATHORY ou citent un certain "Hell Awaits"… A n’en pas douter, ce "Strappado" pourrait compléter la démonstration.


Loin de "Reign In Blood" donc, mais bien plus proche d’un "Hell Awaits". Ce qui n’est pas si mal, bien entendu.


Note : 3/5


Morceau préféré : "Nocturnal Hell"



(1) et non derrière l'épaule comme le veut la tradition :
http://en.wikipedia.org/wiki/Strappado
(Au moins vous aurez appris un truc en lisant jusqu'au bout un de mes papiers)