NIME et les groupes français, c’est une organisation cadenassée. Car les administrateurs doivent redoubler de prudence lors de la validation des commentaires. Qu’on dise du bien d’un groupe et son leader s’empresse aussitôt de rédiger un message de remerciement sur le guestbook :
"Salut Bast, très bien ta chronique. T’en fais un peu des caisses, mais c’est dans ton caractère, on ne te changera pas. Même adresse pour le chèque ? Tu peux attendre la fin du mois pour l’encaisser, stp, je dois changer ma chaudière et les plombiers sont des voleurs. Merci. Bises aux enfants."
Evidemment, on ne le publie pas en l’état, on le corrige un peu :
"Salut NIME, très belle chronique, bien écrite, pleine d’à-propos. J’en ai eu la larme à l’œil, on croirait presque que c’est vous qui avez composé l’album tellement c’est bien décrit. D’ailleurs, la métaphore sur les hirondelles dans le troisième paragraphe est bouleversante. Le chroniqueur m’a ouvert les yeux sur ma propre créativité. Je suis une hirondelle. Je vous laisse, je m’envole. Merci encore."
Et quand on en dit du mal, le message est moins amusant. Dans ce cas, on ne corrige pas, on supprime illico presto parce que c’est nous qu’on chronique les groupes et pas l’inverse :
"Bande de nulos, vous écrivai comme des pié, c de la merde ton cite, il es moch, je te salu pas, aprend à joué de la guitar et on en reparle."

NIME s’étant endetté à cause des concours hors de prix et de la pub qui ne rapporte plus rien, je me vois contraint de dire du bien d’INVICTUS et de son second album "Persecution".
Ahhhhh. Je déconne, n’allez pas croire ce genre de choses. Incorruptibles, nous sommes. De toute façon, les groupes de metal français sont pauvres, ils n’ont pas de quoi payer.

Bon, très sérieusement, le second album des français d’INVICTUS, avec son style qui emprunte la noirceur d’ANGEL DUST, la rythmique de STYGMA IV et les ambiances de SAVATAGE est une belle réussite. Dans le genre power roubignollé, on avait les vétérans de NIGHTMARE. INVICTUS s’invite à ses côtés. Il faudra durer, bien sûr, les louanges ne valent que quand elles s’inscrivent dans la continuité. D’autant que le premier essai ne s’était pas montré aussi convaincant.

Premier bon point, Frederic Glo. Un timbre chaud et rauque, une voix qui tient la note sans faillir, une capacité à jouer sur plusieurs registres, aussi à l’aise dans l’émotion ("Agony Of War") que dans l’agressivité ("Face To Face Part I") ; grosse révélation, INVICTUS tient un frontman de choix.

Second bon point, la production. Didier Chesneau était dans les parages (mixage), rares sont les formations à êtres ressorties lésées de ses mains expérimentées. Les riffs déchirent l’espace, la rythmique est explosive, les passages acoustiques bénéficient d’une belle mise en lumière ("Silence Of Death"), tandis que le chant conserve une place de choix ; un équilibre exemplaire.

Troisième et dernier bon point (bravo, ça fait une image), je vous le donne en mille, les compositions. INVICTUS joue un metal sombre, tour à tour puissant et caressant. Entre "Face To Face Part I", morceau rentre-dedans et "Agony Of War", ballade acoustique classieuse, les Français contentent un auditoire exigeant en terme de diversité. Dénominateur commun, les ambiances, tourmentées, intenses, frottées à la suie. INVICTUS est un écorché vif qui crie son mal-être tout en conservant par devers lui une étincelle d’optimisme, garde-fou qui l’empêche de franchir le cap de la folie. Cela se traduit par de fréquentes montées en puissance, comme un pétage de plomb imminent, avant qu’un soubresaut ramène la quiétude salvatrice et muselle les velléités de violence clairement exprimées.
INVICTUS ne joue pas la carte du tout traditionnel. Les riffs s’inscrivent dans un contexte moderne tandis que le pont avec la scène des années 80 est jeté par les lignes de chant. "Spiral" en est une bonne illustration.

INVICTUS, né en 1996 mais dont le premier essai a été conçu en 2003 n’a pas la prétention d’inventer quoi que ce soit. En connaissance de cause, il puise dans le travail de ses précurseurs la matière première pour la modeler comme il l’entend. Et quand on est jeune, on n’est pas que con. Plutôt que se cantonner à la scène heavy européenne née, dit-on, à la fin des années 90, INVICTUS pioche sur une période plus large, comme l’attestent "The Eclipse Of The World", relecture en fer forgé du hard-rock et "Demons" dont l’accessibilité évoque un bon vieux FM.

"Persecution" a des qualités, aucun doute à émettre sur cet aspect. Mais il demeure quelques faiblesses qui l’empêchent de se hisser plus haut. Des répétitions, par exemple, comme le refrain de "Kill The Dogs". En outre, certaines mélodies tombent comme un cheveu long sur la soupe et greffent quelques longueurs. Pas de quoi affaiblir méchamment les titres. A en rogner le caractère naturel dans leur progression, oui. Deux bémols qui expliquent la note finale légèrement ternie en dépit d’un enthousiasme initial prometteur.

Quoi qu’il en soit, INVICTUS montre une progression encourageante. Un bon album, riche, varié, incisif, plutôt moderne et qui prend souvent aux tripes. Pas de doute, INVICTUS se fend d’un pas de géant entre son premier album incertain et ce successeur là, aux qualités coulées dans le ciment. On attend la suite, le potentiel n’a pas encore montré tous ses crocs. Et il traine encore çà et là quelques morceaux de viande à arracher.

Note : 3,5 / 5