"Bath", un chemin qui fuit vers l'horizon, "Leaving Your Body Map", une baignoire. Amusant, on dirait un effet Stroop. Au lieu des couleurs, je mélange les disques et les amateurs fouilleront Wikipedia pour comprendre de quoi je parle. Impossible de séparer l'un de l'autre, "Bath / Leaving Your Body Map" est bel et bien un double album, deux jumeaux indissociables et pourtant différents.

Premier avertissement essentiel, MAUDLIN OF THE WELL fait partie de ces groupes dont les intentions resteront opaques pour 95% de l'auditoire. Heureusement, parmi ce chiffre impressionnant, quelques-uns apprécieront sincèrement l'artiste sans pourtant tout à fait comprendre de quoi il retourne. Voici indiscutablement la bonne méthode pour appréhender cet OVNI du metal, animal étrange échappé du zoo de l'avant-garde, se gavant d'une esthétique rappelant RADIOHEAD, musicalement plus proche des délires d'un Frank Zappa converti au post rock que du groupe de Thom Yorke. Mais ces délires se font grosse distorsion à la main, chant caverneux de rigueur et jouent le contraste total avec d'innombrables plages apaisées, bien proches d'un GODSPEED! YOU BLACK EMPEROR abandonné au soleil couchant sur une plage caribéenne, niché au fond d'une crique déserte.

"Bath" d'abord, "Leaving Your Body Map" ensuite, la règle est écrite. Seulement, étant donnée la difficulté que rencontreront nombre de lecteurs à entrer dans l'univers post geek d'un octette résolument novateur, je me vois mal laisser quiconque se perdre au sein d'un maelstrom mêlant dans la plus parfaite élucubration death metal, hardcore, doom metal, rock/metal extrême progressif, country pop, baroque féminin et ce qu'on appellera du jazz faute de pouvoir étiqueter l'inédit. Ils n'y survivront pas. Les événements de ce "Bath" sont plus rares, moins naturellement liés, moins réussis tout simplement. Une formule identique à "Leaving Your Body Map", plus de férocité par instants ("They Aren't All Beautiful"), plus de quiétude parfois fort ennuyeuse car mieux écrite ailleurs à d'autres moments ("Marid's Gift Of Art" ou "Geography"). Il sera toujours temps de revenir à ce disque une fois son double parfaitement assimilé et aimé. Alors, on inverse l'ordre et tout ira pour le mieux.

Car "Leaving Your Body Map" est un disque d'exception. Plus compact, moins ouvertement décousu, accessible à un plus grand nombre, si ce n'est le plus grand nombre grâce à ces quelques mélodies malicieuses qui le rendent presque immédiatement séduisant. Une recette identique à "Bath", une plus belle écriture et une violence des contrastes hypnotique (comme sur ce "The Curve That To An Angle Turn'd" qui voit se côtoyer un doom/death noisy et la légèreté absolue portée par un chant féminin délicat et par un cuivre lointain). La beauté folk aux faux accents médiévaux de "Sleep Is A Curse", les montées spatiales de "Riseth He, The Numberless", le jeu de chorus conclusif de "Monstrously Low Tide", d'autres perles encore.

C'est beaucoup ça, MAUDLIN OF THE WELL, le mariage de tous les extrêmes, la rencontre de Sufjan Stevens, une non-influence puisque le folkeux du Michigan a démarré sa carrière après MAUDLIN OF THE WELL et d'ESOTERIC, groupe cité en référence par l'artiste lui-même, huit instrumentistes pour un big band peignant un tableau aux dizaines de couleurs, aux centaines de teintes, un big band capable de tout, le plus souvent du meilleur, parfois du génial.