Après avoir écouté le nouvel album de ЛЮТОМЫСЛ, on est une nouvelle fois conforté dans son ressenti de la scène black ukrainienne. Géographiquement proche, culturellement presque opposée (la majorité des acteurs viennent de la partie orientale du pays, russophone et orthodoxe) à une scène polonaise qui la précède de quelques années, elle souffre aussi d'un certain manque de variété. Et pourtant, dieu qu'elle foisonne. Mais elle se répète et tend à s'abreuver toujours aux mêmes sources. Un chant russe de révolte et de haine, des guitares à la charpente métallique rouillée, une caisse claire transpercée de misère, l'exhibition d'une force animale. Et "De Profundis", fier de son drapeau or et azur, refuse de tourner le dos à la règle froide. Il la regarde, la hume puis fonce droit dedans. ЛЮТОМЫСЛ, un combo 100% ukrainien !

Faire autant partie d'une scène, certes pourvoyeuse de nombre de talents et rarement prise en flagrant délit de médiocrité, n'a pas que des avantages. Il faut déjà s'y faire sa place. Pour cela, ce projet solo tenu par le dénommé Pavel Shishkovskiy, homme-orchestre ici épaulé par un batteur qui aura visité les usines LUCIFUGUM, DRUDKH ou plus récemment BLOOD OF KINGU, joue la carte de la fertilité. Sept années d'existence, six albums studio pour agrandir son pré carré à la force du poignet. Et le stakhanovisme de l'artiste a payé, son engeance a aujourd'hui acquis une respectabilité qui lui garantit une place confortable au panthéon de l'ancienne Rus. Il admire les grands anciens, l'indestructible NOKTURNAL MORTUM, LUCIFUGUM et sa barbe blanche, il respecte le génie de DRUDKH, il se pose en égal de ceux qui soutiennent la juste cause musicale ukrainienne en bâtissant des ouvrages tenus par un savoir-faire appréciable.

Un savoir-faire qui garantit à ЛЮТОМЫСЛ une identité sans laquelle il n'existerait pas au-delà des abords du Dniepr. Et son savoir-faire, ЛЮТОМЫСЛ le met au service de l'émotion. Depuis "De Profundis" perce la tristesse humide et infinie, depuis "De Profundis" se dresse le monolithe anthracite de la dépression. Disque symbole de la rage des chétifs et des opprimés, plastique imbibé de nihilisme forcé, galette destructrice et porteuse de malaise. Ils sont nombreux à bomber le torse dans cette région du monde et à voir la posture que le jeune homme de Jitomir exhibe sur les rares photos promo disponibles, on sent bien qu'il désire lui aussi exhiber sa testostérone chauvine. Mais il est triste, un peu maigrichon, il porte trop large son bomber, trop étroit son pantalon, trop serrées ses rangers. Ça ne va pas, ça ne va vraiment pas.

Et plutôt que d'assimiler cette énième figure slave à la classe des guerriers, laissons-la vivre l'existence dont elle rêve, faite de brume et de pleurs. On la croirait à mi-chemin entre le furibard et le neurasthénique, elle se conforme à la norme édictée à Kharkov, quelques centaines de kilomètres à l'est de son berceau, tout en livrant un message différent et plus intime. Elle aurait été norvégienne, elle se serait appelée BURZUM, suédoise, on la nommerait SHINING, américaine, son passeport lirait XASTHUR. Ecoutez donc ce chant terrible et larmes aux yeux, vous aurez tout compris de l'état d'esprit d'un musicien devant lequel s'étend un désert de malheurs.

Un désert qui le sauve du banal et lui garantit de jolies étoiles qu'une simple exécution correcte d'un black militariste n'aurait pu lui accorder. Il s'en est fallu de peu pour que ЛЮТОМЫСЛ ne porte l'étiquette du déjà vu déjà entendu mais sa personnalité a eu raison d'un embrigadement voulu par Knjaz Varggoth et ses sbires. Félicitations pour avoir su échapper à un service qui extermine aujourd'hui les velléités artistiques. Et ce HATE FOREST sous Deroxat qui partage avec son collègue de label l'amour d'une basse terriblement présente, sèche et claquante, a finalement beaucoup pour plaire.