Foreigner, en 1995, n'intéresse plus personne. Pourtant, Lou Gramm est de retour. Voilà qui aurait pu constituer un évènement. Mais non, tout le monde s'en fiche. Même son départ – cinq ans auparavant – n'a pas traumatisé les foules. Les plus grands succès du groupe appartenaient déjà au passé. Or, être un peu ringard en 1989, c'est se préparer une décennie difficile. Le petit monde du hard rock s'apprête à changer radicalement, et le grunge est sur le point de bouleverser durablement les goûts musicaux du grand public. Même les groupes qui sont alors à leur apogée – les Mötley Crüe et autres Poison – vont sombrer. Alors vous pensez bien : Foreigner, déjà au creux de la vague, n'avait aucune chance dans les années 90. Mais ils ont quand même voulu essayer. Après tout, le groupe avait déjà traversé deux décennies en s'adaptant. Et puis l'association de Lou Gramm et de Mick Jones pouvait toujours faire des étincelles. Malgré la carrière solo en berne du premier. Malgré les ratés de Foreigner lorsque le second était seul aux commandes.

Hélas, ce Mr. Moonlight est un peu pouilleux. D'abord, il n'y a que des ballades, ou presque. Disons des sortes de power ballades qui tirent sur le mid tempo, mais sans s'énerver, faut pas se presser. Fini le bon vieux hard FM qui était la marque de fabrique du groupe dans les années 80. Terminé le gros son et les riffs bien costauds qui donnaient du corps à une musique souvent un peu… gentille. En 1994, Foreigner est triste, Foreigner est amoureux, et se sent d'humeur douce et mélancolique. Donc à part « White Lie » qui ouvre le disque – et qui est l'une des moins bonnes chansons –, à part « Big Dog », un instrumental un peu terne, et enfin « Under the Gun », un morceau honnête et bien rock, il n'y a ici que des trucs calmes, lents, voire semi-accoustiques. Et ce n'est pas tout. Un autre problème vient de la production : un peu lisse et fade, un peu mièvre. Dommage. Le disque sonne un peu enrobé, sans personnalité. A l'heure du grunge, du rock alternatif, ou de la fusion, Foreigner nous propose des chansons trop léchées. Ils auraient dû rappeler Mutt Lange – le producteur de Foreigner 4 – à la barre.

Alors, déçu ? Pas trop. Car une fois passé le constat initial, il reste à les écouter, ces sortes de ballades. Et force est de reconnaître que la plupart sont assez réussies : « Until the End of Time » ou « All I Need to Know », grâce à la voix un peu rauque et poignante de Gramm, parviennent à installer des ambiances inspirées. Mieux, deux morceaux sortent franchement du lot, et s'approchent – sans l'atteindre – du Foreigner de la grande époque. C'est d'abord « Running the Risk », porté à bout de bras par un chant habité. Dommage que la production ratatine tout ça et tienne le groupe en laisse : pourquoi arrêter la chanson – avec une pénible baisse progressive du son – au moment où Gramm se lâche ? L'autre réussite est « Real World », sombre et tout en nuance, qui prouve que Foreigner n'a pas perdu tout talent. Les couplets sont intenses, avec des petits chœurs jubilatoires. Mais il faut sans doute être fan pour s'immerger là-dedans. L'album, à l'époque, n'a pas marché, et ça été la fin de Foreigner. On ne va pas se leurrer : la bête était déjà salement amochée avant même sa dernière agonie. Rest in peace…

Et vite… on réécoute « Juke Box Hero » ! Vas-y Lou, donne tout !