Entre The CADILLAC THREE (TC3 pour les initiés) et votre humble scribouillard, c’est une intense histoire de plus de dix ans. Et comme toute aventure qui s’étend sur la durée, elle est faite de (très) hauts et de quelques moments plus difficiles. Et c’est autant dans ces moments de félicité exaltante que dans les épreuves subies du fait d’opus moins aboutis - a minima moins ouakenwohl - que j’ai forgées avec les trois petits gars de Nashville une relation forte et somme toute particulière, qui me fait suivre de près leur pérégrination depuis les premiers émois provoqués par "Tennessee Mojo", l’un des meilleurs disques de Southern Rock des vingt dernières années, rien de moins.

Mené de main de cowboy par Jaren Johnston, précédemment songwriter à succès pour les pointures Country (Keith URBAN, Tim McGRAW, Jake OWEN), le trio est avant tout une bande de potes qui trainent ensemble leurs Santiags depuis le bahut, pour peu qu’ils aient un jour fréquenté les bancs de l’école. Autour du guitariste-chanteur, on trouve donc Neil Mason, batteur viscéral et amateur de frappes lourdes, qu’il vient régulièrement coller au fond du tempo pour marquer un groove irrésistible, et Kelby Ray, multi-instrumentiste, qui assure la basse, les chœurs (très marqués chez TC3) et l’indispensable Lap-Steel qu’il maîtrise à la perfection. Leur jeu est instinctif au possible, les gars se connaissant sur le bout des ongles, et ils pourraient sans doute jammer pendant trois heures que l’on en redemanderait encore.

Après des débuts très Rock, jammant avec Steven Tyler (AEROSMITH) ou reprenant "Live Wire" de MÖTLEY CRÜE dans l’excellente compilation "Nashville Outlaws : A Tribute To MÖTLEY CRÜE", le combo a fait évoluer sa recette avec plus ou moins de réussite selon les albums, abandonnant progressivement l’univers des BLACK CROWES & Co. pour un registre plus Country-pop, parfois avec une réussite insolente ("Legacy"), mais le plus souvent de manière bancale ("Country Fuzz").

Quant à ce "The Years Go Fast", ma foi, il porte très bien son nom. The CADILLAC THREE regarde dans le rétro et contemple le chemin parcouru depuis tout ce temps, passant en revue les différents genres pratiqués à une période de la vie où l’on change beaucoup, traversant des évènements qui vous transforment le plus souvent un homme. En cela, ce sixième LP en à peine une douzaine d’année – belle productivité au passage – représente une jolie synthèse des différentes facettes de la formation.

Je vous confiais mon attachement pour la musique de TC3, mais j’ai omis de vous indiquer deux moments singuliers qui l’expliqueront mieux que toute description technique. Le premier d’entre-eux date de 2016. Pour mes quarante ans, je décide de m’offrir un road-trip en solo, le long de la célèbre route 66 (avec en bonus un petit détour par Memphis et Nashville, bien entendu) partant de Chicago pour s’achever à Los Angeles. Avant d’entreprendre ce voyage, je demande au glorieux taulier de notre studio de répète de me conseiller quelques groupes de Southern, de Country, bref, de musique typiquement ricaine, afin de m’accompagner sur la route. Le gars en vient à me conseiller entre-autres BLACKBERRY SMOKE et The CADILLAC THREE, inconnus au bataillon pour le trve Metalleux inculte que j’étais alors.

Entre temps, mon Padre casse sa pipe sans crier gare et cette aventure se mue en un trip introspectif, et dans une large mesure cathartique, lui conférant une dimension hautement intime. "Tennessee Mojo", leur essai séminal, constitua en grande partie cette bande originale, tournant en boucle pendant près de quinze jours, et s’avère juste parfait pour tailler le bitume au milieu de l’Amérique oubliée. Si vous aimez un tant soit peu les U.S., vous ne pourrez qu’apprécier ce son, c’est une évidence. Le second évènement correspond à leur tournée suivante, passant par miracle par la France, dans une toute petite salle parisienne (Les Étoiles, pour les parigots). J’y ai pris une telle baffe devant l’intensité de la prestation, la communion avec le public, l’insolent talent des musiciens (pourtant à deux grammes chacun) et leur proximité malgré tout, que c’est simplement l’un des meilleurs concerts de ma vie.

"The Years Go Fast" passe donc en revue des morceaux assez lourds et presque métalliques par certains aspects ("Double Wide Grave", "Hillbilly"), du vrai Southern au tendre palpitant gavé de chœurs (l’incroyable "This Town Is A Ghost" en hommage à son père décédé, "Comin’ Down For You"), des titres plus Pop-Rock à la The KILLERS ("Young & Hungry"), de la Country de radio ("Love Like War", "The Torch", "Pistols On The Levee"), des plans Funky en veux-tu-en-voilà gavés de cocottes succulentes ("The Worst"), et j’en passe et des meilleurs.

Le tout est conçu et exécuté avec une sincérité confondante, porté par le chant nasal de Jaren, qui fleure bon la coupe mulet et la chique. Sa voix possède une charge émotionnelle assez hallucinante et constitue à elle-seule une raison suffisante pour tenter l’expérience, à la fois remuante et foncièrement mélancolique. Et si cela ne vous suffisait pas, je vous invite à prêter attention au travail de Kelby Ray, au four et au moulin sur l’ensemble de la galette, pendant que Mason tient son beat sans effort apparent, tenant son verre de Jack en même temps que ses baguettes, le clopiot au bec. Pour ne rien gâter, je peux vous assurer que les petits gars savent écrire un refrain qui bute tout sur son passage.

Dans chacun des styles présents sur "The Years Go Fast", TC3 a déjà fait mieux par le passé, intrinsèquement. Mais il a rarement couvert un spectre aussi large sur un seul disque, tout en restant cohérent et authentique, maintenant un niveau de qualité constant à travers les époques proposées. Le combo nous embarque ici dans un voyage à travers l’Amérique profonde, celles des diners bleu et rose fluo, des rades improbables et autres motels aux néons vacillants, des stations-services délabrées et des pick-up rouillés, le clébard les poils au vent à l’arrière de ceux-ci. Et rien que pour cela et pour l’épaisseur qui se dégage de ses compositions, il mérite plus d’attention que ce que notre bel hexagone a bien daigné lui accorder jusqu’à ce jour.

Note réelle : 3,5/5.