"Là où ça sent la merde, ça sent l’être. L’homme aurait très bien pu ne pas chier, ne pas ouvrir la poche anale, mais il a choisi de chier comme il aurait choisi de vivre au lieu de consentir à vivre mort. C'est que pour ne pas faire caca, il lui aurait fallu consentir à ne pas être, mais il n'a pas pu se résoudre à perdre l'être, c'est à dire à mourir vivant" (1) , nous disait Artaud dans un de ces derniers textes qu’il rédigea après sa sortie de l’asile de Rodez. Émacié et hors-monde, Antonin déclame dans ce texte, dont il existe un enregistrement, toute l’horreur de sa longue période d’enfermement contrainte, de son opposition à Dieu mais aussi à l’homme en tant qu’être mu par Dieu.

ANTI a pris congé de nous une bonne quinzaine d’années et autant de temps perdu dans les ordonnances et les insoumissions. Les affres des isolements, les angoisses épouvantables, la perte de l’unité et de la cohérence de soi et de sa pensée, les nuits sans fin, les clés des infirmiers, l’enjeu des entretiens médicaux, les restrictions de liberté, les inventaires… de quoi rendre objet le sujet, de soumettre le vivant à du non-vivant. Vous me direz trop de médications tuent l’esprit, les sirènes asilaires annihilent la création, la réduisent parfois à ce qui semble circonscrire à l’intérieur d’un pilulier où miroitent différentes couleurs (le bleu du Tercian 100, l’orange du Largactil 100, le vert du Risperdal 4). ANTI serait-il devenu l’ombre de lui-même sur cet album, avec ce titre éponyme, comme pour mieux resserrer le rang, comme prétexte de réassurance vitale, d’espoir de lutter contre le morcellement et l’effondrement ? Et bien pas vraiment, mais l’entité s’est un peu essoufflée avec le temps, et c’est là que le bât blesse. J’ai un peu de mal à le dire mais l’album est assez plat et parfois monotone, comme une boisson pas fraîche et éventée. Des titres sortent du lot et conservent la pugnacité du prodigieux premier album : "The Insignificance Of Life". Parmi ceux-là je retiens surtout : "Unattainable Soil", "Let’s Call It A Life" et le sublime "I Am..", qui me consolent et me font retrouver la pertinence du jeu précis et fin du premier méfait. Car ANTI avait un pouvoir impressionnant tant il délivrait l’authentique expérience de la mort, du jusqu’au boutisme suicidaire et s’en faisait le miroir et l’écho monstrueux toutes artères tranchées dehors.

A. KRIEG, le ténébreux chanteur s’est même essayé au chant clair mais l’ambiance prend mal ("My Sincerly Night" ou "Among Withered Life"), même si rien de sa diction ne semble être entravée par un quelconque surdosage médicamenteux, l’accordage avec les mélodies n’est pas foncièrement aisé. Notons que sur "5:03", la combinaison prend mieux et l’atmosphère lourde de désespoir est poignante et forte. Côté ambiance nous serons quelque peu refroidis et les tracks suivantes appuieront sur cet état de fait : ANTI a perdu de sa superbe et semble parfois errant ("I Ride With The Devil"), divaguant sur un fil halluciné, dans un entre-deux bâtard. Le début de la track "I Am..", me fait automatiquement penser au sinistre "Dracul Va Domni Din Nou In Transilvania", conté par Legion sur le "Live In Germania" de MARDUK. Quelque chose rend ce titre similaire, les guitares louvoyantes, la diction infecte. Ce titre constitue le point d’orgue de cet album qui demande quelques écoutes pour faire le deuil de "The Insignificance Of Life" et accepter que ce dernier ne soit pas si mauvais mais juste bon."

(1) A. ARTAUD – "Pour en finir avec le jugement de Dieu" (1947) – texte radiophonique commandé par la RTF mais diffusé vingt-cinq ans plus tard après la levée de la censure.