Tout voyage au pays des rêves possède un part d’irrationnel et d’imprévisibilité. Point d’expérience linéaire, mais un contraire, un lâcher-prise salutaire dans un monde enfermé dans une culture de sur-contrôle. L’abandon total qui survient avec le sommeil permet à l’esprit de se régénérer, d’entrer dans un univers d’interprétations et d’exégèse a posteriori qui fait le régal des psychanalystes de comptoir, mais aussi du commun des mortels. La musique est bien souvent un vecteur adéquat à de telles méditations, mais peu sont les artistes capables de stimuler une telle abdication du quotidien, à moins d’y adjuver des substances illicites. SLEEP TOKEN fait, comme son nom l’indique, partie de ceux-ci pour peu qu’on se laisse aller loin des préjugés qu’on saurait éprouver à son égard.

Après un premier opus de qualité à défaut d’être totalement abouti, l’intrigant groupe anglais qui cultive un mystère de pacotille autour de sa réelle identité (dont tout le monde se fiche éperdument), revient déjà avec "This Place Will Become Your Tomb", à peine dix-huit mois après son prédécesseur. Pour être parfaitement honnête, ce type de sortie rapprochée fait systématiquement courir des frissons le long de mon échine. Rares sont en effet les exemples de réussite dans l’exercice : pour un TRIVIUM ou un ARCHITECTS récemment, combien de RED HOT CHILI PEPPERS, de SYSTEM OF A DOWN fleurant bon les chutes de studios ?

Indépendamment du sujet, j’avais été plutôt séduit par l’univers musical de SLEEP TOKEN, malgré une légère frustration liée à une tension globale qui monte, monte, mais n’explose véritablement jamais. Canard aurait sans doute usé d’une métaphore libidineuse pour décrire la chose, mais je m’en garderai bien pour ma part. De toutes façons, vous l’aurez faite mentalement, je vous connais bien pour avoir longtemps évolué de votre côté de l’écran. Si vous êtes là, ce n’est certainement pas par hasard…

Tuons dans l’œuf tout suspense, il ne faut pas vous attendre à de grandes révolutions dans la musique du combo, évoluant dans la plus pure continuité de leur séminal effort. Donc, pour ceux qui n’auraient pas suivi, entre IMAGINE DRAGONS et DEFTONES, délivrant un son qui pourra par certains aspects évoquer les projets de Trent Reznor (NINE INCH NAILS) ou de Maynard James Keenan (A PERFECT CIRCLE, TOOL). Les influences de "Sundowning" sont toujours bien là, renforçant indubitablement une identité relativement singulière pour qui donnera sa chance au produit. Produit, car il me semble que c’est de cela qu’il s’agit, même si le doute subsiste encore.

Notez que ça part pourtant sur des bases élevées, laissant espérer qu’arrive enfin l’explosion attendue pendant près d’une heure, deux ans plus tôt. "Atlantic" suscite ainsi indubitablement l’attention, proposant notamment une belle introduction au piano, sur laquelle vient se poser le chant de Vessel, qui trouve ici pour le coup une mélodie mélancolique du plus bel effet. Les différentes couches, probablement plus synthétiques qu’organiques, s’ajoutent les unes après les autres comme une lente procession Gothique à laquelle les fidèles se joindraient peu à peu. Le morceau possède une classe réelle, frisant l’obscure atmosphère d’un VANGELIS sous acide, les guitares n’étant qu’un instrument parmi tant d’autres. N’allez pas chercher de riffs chez SLEEP TOKEN, vous n’en trouverez pas. Cela risquerait de briser l’envoûtement dans lequel la formation cherche à nous plonger.

L’enchaînement avec "Hypnosis", sourd et aliénant, nous emporte directement chez TOOL, porté par la voix de son leader qui se lâche un peu. Les grattes suivent l’intention, le batteur appuie ses frappes et il ne manque pas grand-chose pour que cela tilte pour de bon. On se dit alors qu’on est peut-être en présence d’un grand disque. Du genre de ceux qui marquent une époque, revisitant un style existant en lui apportant une personnalité singulière. Malheureusement, cela ne sera pas le cas, SLEEP TOKEN préférant renouer avec ses vieux démons Alt-poppy qui feront le bonheur des festoches bobo à la "We Love Green" ou "Rock en Seine". Si "Alkaline" relèvera bien le plat en milieu d’album, ce sera la dernière à provoquer un petit frisson chez votre humble serviteur. Dommage.

Pour le reste, sans que cela ne soit foncièrement raté, "Mine", "Fall For Me" (l'abus d'autotune est dangereux pour la santé) ou "The Love You Want" restent convenues et présentent un décalage réel par rapport aux titres précédemment cités. Si la transe promise au départ n’est pas perturbée par ces chansons (même si on s’emmerde quand même un peu sur "Like That", il convient de le reconnaître), force est de constater qu’il faut vraiment avoir un esprit très large pour véritablement déguster le menu proposé.

SLEEP TOKEN enfonce donc le clou avec "This Place Will Become Your Tomb" mais ne délivre malheureusement pas l’extase annoncée. En revanche, constant dans sa qualité, il nous sert un second LP qui saura séduire les amateurs de musique éthérée. Il ne manque pas grand-chose pour que cela fonctionne, sauf peut-être l’essentiel. J’émets quand même de gros doutes quant à l’accueil que le public de SLIPKNOT leur réservera lors de leur prochaine tournée estivale, tant le fossé m’apparaît abyssal entre les deux univers.