Le début des années 90 est une période assez étrange pour ANTHEM. Déjà, "Hunting Time" n'a pas permis de consolider la fan-base des Japonais à l'étranger, d'enfoncer le clou après "Gypsy Ways" et ce malgré des discussions pour une deuxième tournée américaine. Pour la première fois depuis la sortie de l'éponyme en 1985, ANTHEM marque le pas. De plus, son mentor Chris Tsangarides va les laisser gérer la situation en compagnie d'un nouveau producteur, non sans prendre le soin de recommander son ami Don Airey aux Japonais, qui pourront recruter sur ce porte-flingues de choix, qui a alors déjà joué avec les plus grands (ou presque, car il était encore loin d'être le claviériste attitré de DEEP PURPLE, comme on se le représente aujourd'hui). Pas certain que cela mette les Japonais dans le meilleur environnement possible, d'autant que Yukio Morikawa a vraiment dû lutter vocalement pour finir de mettre en boîte "Hunting Time".

Ce sera hélas le chant du cygne pour Hiroya Fukuda… Le guitariste, largement responsable de la réputation musicale d'ANTHEM, sera plus atteint que ses collègues par la stagnation du groupe et en retirera un gros ressentiment, notamment envers les majors. Et s'il n'a pas de grief contre ses collègues (même si ses relations créatives avec Naoto Shibata ne sont plus aussi réjouissantes), il est atteint de surdité partielle, et ne pourra plus supporter les volumes élevés des concerts bien longtemps. Il sera remplacé juste avant la sortie de "No Smoke Without Fire" par Hideaki Nakama (qui plus tard accompagnera Minoru Niihara en live) qui ne fera pas long feu, puisqu'il quittera ANTHEM en 1991, précipitant involontairement la chute du groupe.

"No Smoke Without Fire" est un cas d'école. Il n'a a priori pas à rougir face à son prédécesseur immédiat, mais dans son approche globalement mid-tempo ne parvient jamais à véritablement concurrencer "Gypsy Ways" sur son propre terrain. C'est d'ailleurs un calcul plutôt étrange, car ces titres-là ont été stratégiquement placés au départ. ANTHEM n'a pas pour autant perdu la formule, mais on sent tout de même une sorte de pilotage automatique, quand bien même le groupe semble désormais en pleine possession de ses moyens. Il y a bien des passages mélodiques chouettes (souvent ceux qui sont soulignés par le clavier d'ailleurs, plus discret qu'il n'y paraît), des hooks efficaces bien que manquant singulièrement d'inventivité ("Hungry Soul") ou des riffs bien groovy que MÖTLEY CRÜE auraient pu leur envier ("Blinded Pain").

On retiendra davantage le travail guitaristique ; certes Fukuda va quitter ses comparses, mais il va partir à son sommet ; ses soli sur cet album sont tous de grande qualité, admirablement construits, pas forcément toujours ultra véloces, dépourvus d'esbrouffe, un art toujours délicat, surtout à une époque où la technicité redouble depuis trois quatre ans, et sert d'indicateur, notamment chez les guitaristes (cf l'orientation de METALLICA sur "… And Justice For All", stigmate incontournable de cette époque). Bref, si on n'entendra plus parler d'Hiroya Fukuda, le guitariste présent depuis les débuts discographiques, n'apparaissant qu'en de rares occasions aux côtés de ses anciens comparses, sera parti à son zénith, ce qui n'est pas donné à tout le monde.

"No Smoke Without Fire" n'est qu'un album sympa dont les intentions trop timorées tuent le résultat. "Blinded Pain" en est un exemple criant : l'apport de Chris Tsangarides aurait été sans nul doute décisif et donné son ampleur à une composition qui n'était pas dénuée de potentiel. Mais que voulez-vous ? N'aurait-il pas produit "Painkiller" pendant cette période que la face du Heavy Metal en aurait été changée. Ainsi, nous voilà bien à court de mots pour parler du sixième longue-durée des Japonais, qui casse clairement la dynamique du groupe, à l'image de sa tracklist qui choisit d'enchaîner les titres mid-tempo en première moitié, avant que la machine ne s'emballe (et "Do You Understand", et encore plus "Voice Of Thunderstorm" ça vaut son pesant de cacahuètes) sans jamais s'avérer vraiment mauvais, si bien que la sortie de son successeur apparaît presque comme une anomalie au vu de son impressionnante réussite artistique et du peu d'aura dont il bénéficiera à sa sortie.