Contrairement à ce qu’affirme mon vieux pote guitariste Laurent concernant l’avenir du Rock en général et celui du Metal en particulier, j’aime à penser que le talent n’est pas le seul apanage des combos mythiques auxquels nous avons majoritairement été allaités et sans qui rien n’existerait tant pour le génie de la compo que pour l’art de l’interprétation. Car si l’évidence même pousse à s’incliner bien bas devant les œuvres respectives d’un LED ZEPPELIN, d’un AC/DC ou encore d’un IRON MAIDEN, il ne faut pas pour autant oublier que mêmes ces légendes ont eut un commencement, des hésitations, parfois quelques faux pas de débutants et que certaines de ces formations aujourd’hui intouchables se sont fait virer de salles de concert quand les ados boutonneux qui les composaient étaient encore en train de chercher leur style ou de s’emmêler les pinceaux à cause du trac.

Bref, tout ça pour dire que depuis que le Grand Maître du Metal me laisse publier mes immondes gribouillis en forme de chroniques sur NIME, j’ai pris un malin plaisir à dégoter des talents récents et peu connus qui produisaient quand même de belles étincelles riffées ! Dans la grande marmite du Metal sous toutes ses formes, pas toujours nécessaire d’avoir quinze ans de scène et des fans dans tous les pays du monde pour créer et jouer de la bonne musique. Il arrive cependant, lorsqu’on pêche avec optimisme dans le flot incessant des sorties, qu’on accroche ce que l’on pense être un projet sympathique, si ce n’est prometteur, que l’on s’empresse de mettre de côté en se le réservant pour la fine bouche… joli cru improbable, et complètement inconnu de mes illustres ainés kroniqueurs Nimiens, qui vont sûrement en rester bouche bée ! Fol espoir à la hauteur d’une cruelle déception quand, quelques mois plus tard, on ouvre religieusement cette boutanche confidentielle et qu’on se rend compte qu’on a devant soi un pinard tristement ordinaire, voire légèrement bouchonné, que non seulement personne ne m’enviera mais que je devrais tristement m’enfiler et finir tout seul : c’est un peu ce qui m’arrive avec ARAN PROG PROJECT et son premier EP "EVO – A Progressive Journey". C’est ça d’acheter du vin sur la seule bonne tête de l’étiquette…

Et pourtant, le rayonnage était fichtrement bien amené pour ce sympathique combo hispanique complètement inconnu mais qui se propose de relire l’histoire de l’Univers connu (depuis sa création jusqu’à nos jours) au travers d’un voyage musical sensé explorer les différentes facettes du Metal Prog' et allant même jusqu’à flirter avec le Jazz Fusion. A la manœuvre, un illustre anonyme bassiste de son état nommé Massimiliano “MarFi” Gentilini, professeur de basse à Barcelone et créateur d’une formation à la gloire musicale des BoF de Tarantino titrée pour la circonstance TARANTINATION. Zicos traînant ses guêtres depuis une quinzaine d’années autour de la capitale de la Catalogne, l’ami Gentilini va donc imaginer ce voyage musical et en parallèle recruter ses compagnons de route pour l’accompagner dans cette (belle) aventure… Jusque là, tout va bien !

Les enregistrements composant les six pistes de "EVO – A Progressive Journey" vont ainsi s’égrainer entre 2018 et 2021 en fonction de diverses rencontres artistiques, d’un contexte sanitaire ne privilégiant pas toujours les possibilités de se retrouver en studio, et de l’inspiration du moment de notre ami bassiste. Cette durée significative ne facilite pas la fixation d’un line-up digne de ce nom, ce qui explique la liste à la Prévert destinée à répertorier la foule des guests ayant apporté leur pierre à l’édifice (pas moins de quatre batteurs et huit guitaristes!) … l’actuelle formation étant uniquement verrouillée depuis début 2022 et avant tout destinée à faire tourner ces morceaux sur scène.

Paru fin janvier 2022 avec une jolie pochette digne d’un jeu vidéo aux ambitions pédago-historiques, "EVO – A Progressive Journey" aligne donc ces six titres au travers de trois chapitres chronologiques couvrant respectivement le Big Bang (une piste), la formation du système solaire, de la terre et l’apparition de la vie (quatre pistes) puis l’avènement de l’homme dans son ère moderne (et de six!).

Bon, maintenant qu’on a bien détaillé l’étiquette ainsi que l’esthétique de la bouteille ; quid du contenu ? Sans sombrer dans le fatalisme déterministe le plus obtus, je dirais en substance qu’avec ce premier EP réalisé en trois ans dans une ambiance de hall de gare, ARAN PROG PROJECT semble malheureusement victime du modèle qu’il s’est imposé : une musique éparpillée et sans relief, faite d’un amoncellement d’individualités, de jeux différents, et servie par des voix très moyennes… On est fichtrement loin du grand cru !

Mais commençons par ce qui me semble le plus flagrant, à savoir des voix qui ne sont tout simplement pas à la hauteur de la virtuosité instrumentale en particulier et du côté résolument épique de cette épopée galactique en général : qu’il s’agisse de la señorita Silvia Antón ou des voix masculines qui apparaissent respectivement sur "Origin", "The Expansion Of Matter" ou encore "Human Coming Darkness", c’est un chant très peu expressif et surtout très conventionnel qui apparaît comme plaqué sur la musique qui s’en retrouve comme plombée. ARAN PROG PROJECT ne pêche ici pas du côté de la justesse mais ses voix ne sont tout simplement pas habitées et viennent se coller de manière tant artificielle que poussive à un ensemble instrumental qui tourne très bien sans elles (à l’image du titre introductif dont la rythmique musclée laissait entrevoir de beaux espoirs!).

Prises individuellement, les pistes instrumentales ("Cambrian", "Reptile Era" et "Modern Era") sont bien plus ambitieuses et dans le cas de "Cambrian", vont presque jusqu’à convaincre par leur soli techniques et mélodiques, leurs sympathiques accélérations, leurs lignes rythmiques offensives et leurs différentes variations qui laissent songeur sur ce qu’aurait pu être "EVO – A Progressive Journey" si tout le reste avait été du même acabit. Mais à l’image d’un "Reptile Era" dont le Jazz virtuose et swinguant n’est pas sans rappeler de belles productions des 70’s suivi par un "Modern Era" dont la longueur et l’absence de relief poussent les musiciens à faire des ronds dans l’eau, la musique de ARAN PROG PROJECT donne l’impression d’un véritable patchwork fait d’assemblages pas toujours cohérents entre des superpositions hasardeuses de styles, des enchaînements pas toujours très heureux sans oublier ce véritable mille-feuilles de musiciens, chacun ayant sa patte, ce qui nuit foncièrement à une belle cohérence d’ensemble.

Si Massimiliano “MarFi” Gentilini souhaitait offrir un florilège disparate de ce qu’il est capable de faire en studio avec des potes ; l’objectif est bien atteint. Par contre, s'il ambitionnait de créer une vraie formation cohérente et conduire l’auditeur dans un voyage musical original au travers d’un projet Prog-Rock-Jazz lui permettant de s’évader ; c’est clairement loupé !

Affalé contre les quatre bouteilles de vin qui constituent la globalité de ma cave, et tenant à la main cette fichue boutanche dans laquelle je fondais tant d’espoir, c’est l’esprit embrumé et le foie douloureux que j’attribue un sévère 2/5 au "EVO – A Progressive Journey" d’ARAN PROG PROJECT pour cette offrande manquant cruellement de signature artistique comme de coffre vocal. Tout n’est pas à jeter, loin de là, mais j’espère sincèrement qu’à l’identique de l’image vinicole prise pour illustrer cette chronique, qu’ARAN PROG PROJECT se bonifiera avec le temps pour nous proposer dans les années qui viennent un bel album à la hauteur de son potentiel et de ses ambitions.

- pour la bonne surprise : "Cambrian",
- pour les amateurs de Jazz : "Reptile Era",
- c’est pas grave si t’en parles pas à tes petits-enfants devant la cheminée à la veille de Noël : Le reste de l’EP.