Il y a chez AMORPHIS un truc qui me gêne, un je-ne-sais-quoi auquel je ne parviens pas à donner de nom. Je n'insiste plus, c'est ainsi. La raison pour laquelle la musique d'un artiste nous séduit ou nous ennuie est, de toute manière, l'objet d'un incessant débat qui se conclut le plus souvent par "Oh, les goûts et les couleurs…" que nous nous garderons bien de reproduire ici. Reste qu'AMORPHIS propose en revanche des ambiances, des structures mélodiques et des canevas de morceaux inventifs et riches d'une audace sans doute en grande partie responsable de la pérennité de la carrière du groupe. Derrière tout cela, un des artisans se nomme Esa Holopainen, guitariste et compositeur de la formation finlandaise, qui dégaine après plus de trente ans d'activité un premier album solo, du nom de SILVER LAKE.

Comme beaucoup d'albums récemment publiés, SILVER LAKE est un bébé issu du confinement. Sollicité par son ami Nino Laurenne, producteur propriétaire du Sonic Pump Studio à Helsinki, Esa rassemble des bribes de morceaux éparpillées, des idées laissées de côté au fil des ans, et compose les éléments nécessaires pour compléter finalement cette première réalisation en solo. Ce que l'on remarque, d'emblée, c'est la modestie du musicien qui n'a pas ici proposé un album-vitrine, représentatif de sa technicité, mais bien un projet artistique axé autour de la richesse et de la diversité des chansons proposées, et dans lequel il joue avant tout le rôle de medium, se faisant porteur d'une émotion universelle plus que d'une démonstration de force. Le nom du guitariste, bien plus petit que celui du projet sur la pochette de l'album, témoigne de cette envie de faire parler la musique avant de lui accoler un nom.

Il est vrai que, si SILVER LAKE regorge de guitares, tour à tour planantes ou belliqueuses, Esa Holopainen se met surtout et avant tout au service des chansons qu'il propose. Le Metal n'est d'ailleurs qu'une des composantes de la musique ici présentée. Tour à tour Folk, Rock, Death, l'album mêle ambiances et influences pour se faire particulièrement bariolé. Plusieurs morceaux peuvent, ainsi, rappeler les intonations à la fois douces et sombres distillées par des groupes tels que GREEN CARNATION ou BORKNAGAR sur leurs albums acoustiques ("Sentiment", "Apprentice"). Tous chantés à l'exception de celui d'ouverture, les morceaux permettent à Esa de faire appel à nombre de ses camardes vocalistes. Tomi Joutsen, vocaliste d'AMORPHIS, est naturellement de la partie, mais se fait assez transparent sur "In Her Solitude", dont le manque de vigueur est compensé par une fin atmosphérique et très ambitieuse, qui nous permet d'apprécier pleinement le talent de la tête pensante du projet.

Nécessairement, la grande variété des compositions et des chanteurs invités génère de grandes disparités. Il y a des réussites qui font mouche immédiatement, à l'image de "Storm", qui bénéficie de la présence de l'excellent vocaliste suédois Håkan Hemlin. Il y a ici des ambiances païennes, tribales, presque incantatoires, qui se déploient peu à peu pour exploser sur un refrain d'une beauté désarmante. Finalement, les guitares se mettent ici volontiers en retrait, même si quelques passages instrumentaux se laissent savourer, au profit de l'œuvre dans sa globalité. Sans doute le morceau le plus efficace de cet album.

Quelques ambiances 70s, un peu Pop, nous surprennent par moment. La voix délicatement rétro de Einar Solberg, par exemple, donne une teneur savoureuse à un "Ray Of Light" par ailleurs modérément inspiré. Un titre bien plus réussi en tout cas que "Alkusointu", sorte de Doom slammé par l'acteur Vesa-Matti Loiri, dont la voix profonde ne comble pas le toc de claviers porteurs d'une superficialité dommageable. Si Björn 'Speed' Strid (SOILWORK) se fait convaincant sur un "Promising Sun" dont les ambiances ne sont pas si loin d'IN FLAMES, il faut bien attendre "Fading Moon" et la participation d'Anneke Van Giersbergen pour entendre un autre vrai grand morceau. Jouant encore une fois sur le mariage réussi entre ambiances atmosphériques et riffs lourds, mordants, Esa Holopainen construit un titre tout en nuances, qui s'ouvre comme une petite fleur de printemps, délicatement, presque en s'excusant, avant de s'ouvrir complètement sur un refrain flamboyant et de grande classe.

À se laisser porter ainsi aux quatre vents, Esa Holopainen livre un premier album studio libre et bariolé, aux couleurs chaudes et froides, dont l'audace est à saluer. On en retient surtout la force de la composition, qui donne à certains morceaux une identité savoureuse, et on oublie les quelques errements qui en amoindrissent la cohésion. Tant pis pour les quelques ratés, la richesse de ce SILVER LAKE réside dans la mise au service d'un artiste pour des compositions qui sentent le bois de Scandinavie et la rigueur de l'hiver. Un album à la fois solitaire et collégial dont la découverte des atouts demande un certain investissement de l'auditeur, qui sera en retour raisonnablement récompensé.