Je ne sais pas si vous l'avez connu durant votre enfance mais en ce qui me concerne, Skeletor est un antagoniste de dessin animé dont je garde un très bon souvenir. Parce qu'il avait vraiment l'air méchant et que le design du personnage était simple et faisait mouche, d'autant que son nom allait droit au but. "Les Maîtres de l'Univers" n'était pourtant pas un dessin animé phénoménal, il s'agissait plutôt d'un véhicule marketing calibré pour écouler une ligne de jouets Mattel, mais il n'empêche que son héros, Musclor (He-Man en V.O., quel homme !), et son ennemi principal étaient emblématiques d'une façon hyper stéréotypée de raconter des aventures aux enfants.

Tout cela pour vous dire que l'apparence de l'espèce de démon à laquelle la donzelle de la pochette du premier album de BETRAYEL fait une offrande m'a immédiatement attiré l'œil. La stature du personnage, sa collerette, ses muscles saillants et sa face de squelette ont suffi à me rappeler avec nostalgie ce personnage mythique de la pop culture, plus de trente-cinq ans après sa création. Voilà une chose que BETRAYEL partage avec Skeletor, justement : son âge. Créé au beau milieu des années 1980, trois ou quatre ans après la première apparition officielle du super vilain, ce groupe de Thrash Metal californien originaire de Fresno, ville située à un peu plus d'un tiers de la route qui sépare San Francisco de Los Angeles, est lui aussi un résidu de l'époque.

Une époque où le tape trading faisait rage et constituait l'une des premières sources de découverte de nouveaux talents, avant même les magazines et les compilations. À propos de revues spécialisées et de compil', d'ailleurs, BETRAYEL avait pour lui, parmi ses faits d'armes originels, d'être la première formation de Thrash Metal non signée sur un label à avoir eu droit aux honneurs d'une publication dans Kerrang!. L'hebdomadaire britannique avait ainsi donné une visibilité inédite au quartette, suffisamment d'ailleurs pour que la notoriété de celui-ci décolle un peu. C'était juste après que BETRAYEL ne figure sur le Split L.P. "Raging Death" aux côtés de SADUS, de R.A.V.A.G.E (qui devait devenir ATHEIST) et de XECUTIONER, futur OBITUARY, entre autres…

De quoi permettre, ensuite, à BETRAYEL de figurer sur la compilation "Metal Massacre X", sortie en 1989, quelques mois à peine avant la séparation du groupe. Certainement arrivé trop tard sur la scène Thrash, le groupe de Fresno, malgré ses premières parties de DARK ANGEL, de DEATH ANGEL, de KREATOR ou de VOIVOD, n'a rien pu faire d'autre que disparaître… Jusqu'à ce que le label Divebomb Records se décide à compiler, en 2018, l'ensemble des morceaux enregistrés par BETRAYEL entre 1985 et 1990 sur un disque dont le titre, "Death Shall Overcome", n'est autre que celui de la deuxième Démo du quartette, mise en boîte en 1987. Or, contrairement à ce clin d'œil au passé, finalement mal intitulé, c'est la vie et non la mort qui a vaincu : BETRAYEL est rené en 2019 avec son line-up d'origine pour enfin enregistrer son premier album studio.

En rassemblant l'essentiel du back catalogue du groupe, Divebomb Records a fait d'une pierre, deux coups : il s'est offert une rétrospective à publier à moindre frais et s'est permis d'ajouter à son écurie une formation ressuscitée que la plupart des observateurs, y compris parmi les plus fervents défenseurs du Thrash Metal, avaient oublié. Mais alors, qu'attendre d'un groupe que beaucoup de monde ne connaissait ni d'Ève, ni d'Adam jusqu'à récemment ? Un Thrash Metal suranné, directement importé des années 80 ? Un peu, il faut le reconnaître... Même si la production sonne plus actuelle - bien que l'enregistrement ait eu lieu dans le même bâtiment qui abritait, en 1986, le studio 8 pistes dans lequel BETRAYEL a enregistré sa première Démo - et que le mixage donne plus de place à la basse.

Les membres de BETRAYEL affirment que lorsqu'ils se sont retrouvés de nouveau, instruments en mains, près de trente ans après leur séparation, c'est comme s'ils ne s'étaient jamais quittés. Et on veut bien les croire car leur Thrash Metal sent bon la deuxième moitié des 80s, époque où ont fleuri la plupart des groupes de Thrash de seconde zone ayant tenté d'emboîter le pas aux pionniers de la Bay Area et de la côte est. En tout cas, chez BETRAYEL, on retrouve bien cette double influence dans le riffing et dans le chant de Chris Campise, dont le timbre fait penser alternativement à ceux du Bobby "Blitz" Ellsworth d'OVERKILL et du Steve Souza d'EXODUS, le tout mâtiné d'un peu de Steve "Lips" Kudlow (ANVIL) sur les parties les plus mid-tempo, notamment le refrain de "Accelerant", titre aux faux-airs de "Metal On Metal".

Non, sérieusement, écoutez donc le morceau-titre, "Offerings", et dites-moi si vous n'entendez pas ces intonations-là ? Campise chante avec conviction, en tout cas, et s'il fallait se convaincre que BETRAYEL est heureux d'être de retour, il suffit de constater la grinta que le bassiste et vocaliste met dans son interprétation vocale. Si je cite OVERKILL, c'est aussi parce que les gang vocals sont fréquents chez BETRAYEL et qu'ils rappellent immanquablement l'usage qu'en fait le groupe du New Jersey. Il faut aussi entendre l'enthousiasme du combo au moment d'entonner "Resurrected", thrasher classique mais efficace dont l'on retient aisément le refrain.

Du côté des refrains, en l'occurrence, le combo de Fresno ne s'est pas manqué : outre celui de "Resurrected", ceux de "Venomous", de
"Offerings", de "My Demise", de "Meet Your Maker" et de "Face Of Pain" accrochent l'oreille et nul doute qu'ils marcheraient bien sur scène. Bien sûr, il ne faut pas s'attendre à des tubes absolus, le Thrash de BETRAYEL restant très archétypal, mais ces morceaux font le taf, tout comme les soli de guitare, même s'il leur arrive de paraître en dehors de la tonalité de temps en temps, comme sur le morceau-titre, justement, ce qui donne une impression étrange. Le principal problème, à mon sens, de ce premier album studio de BETRAYEL réside dans cette tendance à ne pas suffisamment varier sa vitesse d'exécution.

En effet, le gang de Fresno reste majoritairement sur des tempi moyens et son Thrash devient vite redondant, d'autant que contrairement aux refrains, qui sont plusieurs à être accrocheurs, les riffs, eux, ne sont pas vraiment mémorables. Or, le Thrash Metal a BESOIN de riffs qui claquent, de coups de fouet ou de coups de barre à mine pour s'ancrer définitivement dans les caboches et donner envie de "mosher". Les morceaux composés pour "Offerings", à l'exception du plus ancien "Helpless Souls", qui date de la fin des années 80, se reposent bien trop sur leurs refrains et sur le muscle des guitares, car elles en ont, pour marquer l'auditeur. Seulement, ça n'est pas suffisant et BETRAYEL, pour son retour, nous sert un album qui manque quelque peu de piquant et de vice. Skeletor, en tout cas, ne s'y reconnaîtrait pas.