Alors que je vous parlais de CREAM il n’y a pas longtemps et par extension de ce superbe batteur qu’était Ginger Baker, m’attaquer à .38 SPECIAL aujourd’hui me donne des allures de nécrophage vu que le bassiste Larry Junstrom nous a quittés quelques jours après, à soixante-dix ans. Musicien à la main sûre, il faisait partie des membres fondateurs de LYNYRD SKYNYRD, de 1964 à 1971, avant de rejoindre donc le Revolver en 1976 et de rejoindre ainsi un autre Van Zant, Donnie. Une façon de rester en famille en quelque sorte. Le groupe se faisant déjà très rare de nos jours, il n’est pas certain qu’il revienne un jour sur le devant de la scène. Le premier album du groupe était sorti quelques mois avant le drame qui faucha LYNYRD SKYNYRD et était plutôt quelconque. "Special Delivery" sort en 1978 et semble vouloir remettre les pendules à l’heure.

Alors oui, la pochette est un brin naïve et pas franchement très belle. Quoique la montagne est plutôt bien faite. Nous pouvons nous demander comment la vache à deux têtes arrive à se déplacer, à vivre, à se faire tirer le lait. Une aberration de la nature à laquelle répond la voiture, la pochette faisant en sorte qu’elle semble être montée pareil. Mais une jaquette ne faisant pas l’album, il convient de gentiment l’éclipser afin de se concentrer sur le disque en lui-même, qui est plutôt agréable à l’écoute.

L’approche du groupe va se faire plus agressive et franchement, ce n’est pas un mal, le premier essai étant particulièrement mou du genou et manquant cruellement de relief. Pourtant, tout commence doucement avec un titre que l’on pourrait rapprocher de la Country électrifiée, que l’on pourrait rapprocher de LYNYRD SKYNYRD dans l’idée, mais il s’agit là d’un leurre. Le reste de l’album va prendre une autre dimension, la formation va en effet muscler son propos et se libérer d’une ombre bien trop pesante et surtout, mortifère. Sur "Special Delivery", nous allons entendre des musiciens qui sont en train de trouver leur son et si cela signifie tâtonner, ce n’est pas grave. Les idées sont là et commencent à se mettre en place naturellement.

"Turnin’ To You", par exemple, surprendra par son approche Heavy pour du Southern Rock. Bien vite, dans la discographie de .38 SPECIAL, on s’apercevra que cette étiquette n’aura plus lieu d’être, que nos Floridiens vont évoluer vers autre chose. En attendant, "Turnin’ To You" possède un rythme relativement enlevé, des guitares saignantes à souhait, on dirait presque du KISS version Paul Stanley sur les refrains ! Le chant de Donnie est vraiment bluffant ici et quelle bonne petite claque ! La grand écart est fait avec la ballade finale, sensible et tout en finesse, "Take Me Back", sur laquelle s’illustre Billy Powell au piano, rescapé du SKYNYRD.

Et ce grand écart définit plutôt bien l’album, entre cette envie d’aller de l’avant en durcissant le ton et le fait que la tradition, ça a du bon. De ce fait, "Special Delivery" est très varié, jonglant habilement entre l’approche typiquement Hard Rock ("Who’s Been Messin’", où les guitares se répondent à merveille et qui est un bon indice quant à l’orientation future du combo) et d’autres choses, plus chaudes, qui se teintent de Soul dans les chœurs ("I Been A Mover"). Le groupe grandit, s’affranchit de l’héritage familial de Donnie Van Zant pour bifurquer vers un style qui lui sera propre.

Après, on peut aisément s'interroger sur la nécessité d'avoir deux batteurs au sein d'une telle formation ; la batterie développe une atmosphère bien sudiste, en étant un peu traînante, mais de là à justifier la présence de deux cogneurs, cela laisse un brin dubitatif, tout pouvant être joué par un seul type derrière ses fûts. Peut-être pour une question de densité pendant les concerts. Bref, ça doit être un truc du Sud, autant ne pas trop chercher, on sait comment terminent les fouineurs par là-bas...

Même si le disque peut parfois paraître un peu mou du genou, pas toujours aussi inspiré que cela ("What Can I Do" est un peu sirupeuse, "Can’t Keep A Good Man Down", malgré son saxophone, peine à se tailler la place qu’elle mériterait), .38 SPECIAL se forge donc son avenir musical de façon plutôt satisfaisante. C’est chaud, la guitare déverse volontiers des riffs électriques simples, mais qui font le taf, ce n’est pas forcément très original non plus. Là encore, difficile de deviner que la formation allait littéralement briller au début des années 80, même si certains titres sont de bons indicateurs ; le disque manque encore de stabilité.

La routourne va tourner, comme disait un grand philosophe. .38 SPECIAL commence à effectuer sa mue avec ce "Special Delivery", pas tout à fait timidement, mais pas non plus de façon spectaculaire. "Special Delivery" reste un bon petit album de Southern Rock gentiment burné. Moins moite, ayant moins cette odeur de foutre que le premier essai, il se veut donc plus sec et plus abordable également pour l’auditeur lambda. Le Rock de .38 SPECIAL éclot et le poussin va commencer à grandir à partir de "Rockin’ Into The Night" pour devenir tout simplement monstrueux sur "Wild-Eyed Southern Boys".